jeudi 19 avril 2012

Les tauliers munificents (Droit de réponse à mon passage sur LCP)

Il y a encore quelques jours, quelques semaines, je croyais avoir suffisamment de défiance envers le monde des médias tel qu’il fonctionne aujourd’hui pour être prévenu de ses ficelles et autres entourloupes. Je me trompai. C'est édifiant de voir de quelle façon on donne, soi-disant, la parole aux citoyens. C'est pour les moquer, et la leur retirer aussitôt. 


Le député Pailler fort surpris du ton de mon intervention, voir la séquence

Lundi soir vers six heures je fus appelé par le staff de l’émission “ça vous regarde” sur LCP, une chaîne publique, parlementaire, qui commence à fidéliser un certain nombre de téléspectateurs, toujours la recherche d’une information politique de qualité, un peu plus d’épices que dans le plat standard souvent servi d’une chaîne à l’autre, privée. 
Au téléphone, une demoiselle me demande si je veux bien participer à l’émission en tant que "sentinelle citoyenne", ce que j’accepte, le temps d’installer Skype sur mon Mac. Là, une fois les réglages faits, je m’installe, vais me chercher veste et cravate, car après tout, ce n’est pas parce que j’interviens de chez moi que je dois me présenter aux téléspectateurs et à mes hôtes en tenue d’Adam, non plus. 
D’abord, il faut s’imaginer l’état de tension qui vous envahit. 

Depuis 19 h 15 où l’équipe a procédé aux réglages techniques nécessaires, puis une heure de préparation, une heure-et-demi de meeting où j’ai noté, observé, mangé trois tartines en guise de repas, prévenu les copains que j’étais en direct sur cette chaîne, et transpiré en me demandant quelle allait bien être la farce qui allait m’attendre. J’avais accepté qu’on annonçât ma couleur politique, à visage découvert. Je m’étais révélé à l’assistante comme simple adhérent du Parti de gauche, n’en déplaise à quiconque. 
De temps en temps, cette jolie voix me disait au casque que ce serait long. Puis la fin du meeting arriva enfin, à peine plus long que celui d’un Mélenchon certes, mais où je n’ai rien appris, à la différence de ses meetings d’éducation populaire. On était là dans la longueur d’un meeting où le candidat savourait une dernière fois sa tribune, égrénant d’ennuyeuses incantations comme dans un opéra de Wagner, faisant des hélas à tour-de-bras, et le constat d’une crise qu’il prétend endiguer avec la volonté du “Conseil National de Résistance”. Tellement convaincu que j’en fus estourbi. 
Bayrou un résistant, c'était à rire. Allait-il nous annoncer qu’il formerait un gouvernement avec des Communistes et qu’il allait, comme le CNR nationaliser l’industrie, et peut-être même enrayer l’augmentation de la dette publique en nationalisant les banques ? Que nenni. 
Une voix me demande alors de me tenir prêt, que j’allais apparaître à l’image. En effet, je me suis vu soudain téléporté sur le plateau de l’émission. Mais alors que j’essayais de me trouver une contenance, le citoyen n’est pas un habitué des plateaux, cette même voix me dit : -“Attention, on vous demande une seule intervention et très courte, on n’aura pas le temps de faire l’émission comme prévu, le meeting a été plus long que prévu, désolée.” -”Très courte, c’est-à-dire...” repris-je aussitôt, -”Trente à quarante secondes s’il-vous plaît”. 
Un bras m’en tombait. Moi qui me trouvais devant trois pages de notes surlignées au fluo, sur l’agriculture, sur la dette, sur les barrières douanières, j’allais placer quoi ? J’avais attendu pour quoi ? J’ai failli jeter l’éponge. Et puis je me suis dit allez, après tout, perdue pour perdue, cette soirée finira comme elle a commencée, je serai ficelé par le stress. 
-“Vous le faites quand même ? me demande la petite voix -“Oui, j’ai attendu, j’ai vu le meeting, j’ai pris des notes, je ne vais pas faire demi-tour maintenant."
Là, je sentis l’animateur changer de ton et se tourner sur les écrans muraux où j’apparaissais, comme dans Cosmos 1999. Et il dit "Voyons ce qu’en a pensé Benoît...
L’autre bras a dû tomber, à ce moment là. C’était à moi et j’avais huit ans ! On va demander à Petit-Jean ! Où était-je passé dans l’affaire, la téléportation n’avait pas bien marché, j’avais perdu mon nom de famille en route ? Je payais le droit de passer en télévision par la perte de mon patronyme ? Les invités étaient bien Judith Waintraub, Dominique Pailler, Christophe Forcari, Arnaud Ardoin, ils avaient un nom ceux-là, on l’écrivait, on le disait, et partout encore ! et puis accessoirement il y avait Benoît… 
Mais dites-donc les beaux messieurs, pour qui vous prenez-vous ? Vous ne voyez ce qu’il y a de gênant dans ce comportement ? 
N’êtes-vous pas de simples citoyens comme moi libres et égaux en droit ? De quel droit m’appelez-vous par mon prénom , comme à l’école ? Suis-je un manant, un maraud, un fesse-mathieu ? Ah je vous jure que j’ai failli aller au clash, et puis, vous savez, je suis bien élevé. On s’embarrasse de bien des précautions quand ils n’en ont aucune.
On allait donc voir ce qu’on allait voir. Ensuite, je ne sais pas ce qui prit le journaliste politique, il perdit tout sens de ce que ses études à Sc-po lui avaient enseigné, peut-être ma cravate l’avait-il rassuré, car il me demanda comment j’avais trouvé François Bayrou. Etais-je sa mère ? Il avait de bonnes joues, oui, mais sachant qu’il me restait trente secondes je trouvais ça un peu léger et très peu politique, pour tout dire. En ce point, il faut voir le déroulement de la séquence car je voudrais vous laisser apprécier la manière dont ils se sont défendus:

Comme on le voit, j’ai bouffé plus de quarante secondes. J’ai taillé dans le vif assez rapidement, et n’ai malheureusement pas entendu (à cause de Skype) l’intervention de Mme la Duchesse de Waintraub, sinon je m’en serais expliqué. Mais je crois avoir surpris le plateau en attaquant Bayrou là où on ne m’attendait pas.

C’est cette troisième partie de l’affaire qui m’a fait projeter le droit de réponse ci-présent.


Mme Waintraub, alors que mon micro était désormais coupé, a cru bon affirmer qu’il n’y avait “pas de rapport” entre ce que je disais et le discours de M. Bayrou, soucieux d’économies, de rigueur. 


Manifestement, Mme Judith Waintraub avait un but : Rompre dans l’esprit du téléspectateur le lien logique qui lui permet de comprendre ici la volonté politique organisée d'avoir une dette publique, dans l'intérêt du monde de la Finance (qui en perçoit les intérêts) 

Faire un constat sans s’attaquer surtout aux causes qui ont amené la situation, dénoncer une dette publique, s’alarmer, se donner des airs de phare dans la nuit qui clignote une fois tous les cinq ans, sans en expliquer les tenants et aboutissants, sans en démonter l'entier mécanisme, pour mieux amener à justifier les décisions qui s'imposent.

M. Bayrou, Mme Waintraub et tous les satisfaits qui se promènent de plateau en plateau sont associés dans cette entreprise de décervelage. Ils sont les armes de destruction massive de la pensée, telles qu’on devrait mener contre eux une véritable opération “tempête du désert”.
J’avais fait allusion sans avoir le temps de le dire, à la dématérialisation de l’argent (décision unilatérale de Nixon de s’affranchir de l’étalon-or pour le pétro-dollar en 1971) puis dans la foulée les lois favorables au secteur bancaire commercial privé qui eurent la manne inouïe de l’emprunt des Etats à la place des banques centrales publiques (loi du 3 janvier 1973). 

Il y a donc bien un rapport, Mme Waintraub, entre d'une part  l’impossibilité (réformable) pour un Etat d’emprunter à sa banque, de pouvoir monétiser sa dette, et d'autre part les règles d’or (invoquées) qui nous mènent vers des réductions drastiques, voire dramatiques des dépenses sociales (annoncées comme inéluctables). C’est ce que vous ne sauriez reconnaître. Vous voilà prise en flagrant délit de malhonnêteté.
C’est drôle comme, dès qu’on touche à leur poule aux oeufs d’or, les coqs et les poules de la basse-cour montent sur leurs ergots. 

De plus, j'attire votre attention sur ce point : Je n'ai jamais dit que les positions de François Bayrou étaient "semblables" à celle de Jean-Luc Mélenchon ! J'ai parlé du constatMais dans l'esprit d'un communiquant de la politique social-démocrate moderne, et surtout un rapporteur de sa  faculté d'incantation, faire le même constat c'est déjà être d'accord... Ne parlons donc pas des préconisations... Ce serait trop long, et trop compliqué...
Puis contre toute attente, le journaliste de Libé vient au secours du député D. Paillier (ex-UMP), en s’amusant de ce que  j’aurais rejeté le candidat dans son camp d’origine, la droite, alors que, reprenant les arguments de la droite de la droite, Bayrou se serait “gauchi”. Aucune voix pour expliquer que la société française s’est droitisée, que Hollande est à la droite du PS, face à cet extrémiste du centre qu’est François Bayrou. Aucune voix et surtout pas la mienne, puisque dès lors mon micro était fermé, et ma bouche avec !
Dès lors les éditorialistes ont beau jeu de dire ce qu’ils veulent, du haut de l’autorité qu’on leur prête, puisqu’il n’est pas prévu de controverse avec les “sentinelles” dont je jouais ce soir là le triste rôle.
Un citoyen, si on lui donne la parole, il faut que cette faveur exige une éternelle reconnaissance. Comme on donne l’obole, rubis sur l’ongle. Puis, la monnaie consentie dans cette grande munificence est aussi bien retirée. 
Eh bien non, M. Ardoin je ne vous remercie pas de m’avoir donné à jouer ce jeu de dupe, et si je n’avais pas moi-même révélé mon appartenance politique, vous ne l’auriez pas mentionnée. Votre concept n’est autre que de vous donner bonne conscience, comme Science-Po le fait avec la banlieue. Les règles du jeu ne sont pas équitables, entre ceux qui ont la parole, en permanence, sur tous les plateaux, et ceux qui ne l’auront qu’une fois, et à qui on coupe la chique. Ecoutez ce gueux-ci donner un avis autrement que sur la pure forme attendue, leurs oreilles en alerte se lèvent. 

Le citoyen on veut bien l’informer, mais on le préfère non formé. 


On le préfère ébloui à lucide. Qu’il en ait plein les yeux. S’il a le malheur d’avoir quelque raisonnement, on lui coupera la parole assez tôt, il n’ira pas jusqu’au bout ; et si d’aventure il allait jusqu’au bout, on s’efforcera de pervertir son message, de le disqualifier après l’avoir réduit à son simple statut de citoyen, pire, d’internaute. Et pis, si d’aventure encore, comme sur cet extrait, le précaire au Rsa partiel se présente en costard cravate, il acquiert en cours d’émission des titres de noblesse inattendus ; il devient aussitôt “un proche de Jean-Luc Mélenchon” ! Pas un des ces citoyens ordinaires, un de ces lambdas qui inondent le plateau téléphonique des radios le matin, non. Il faut alors à tout prix que l’invité surprise, décidé à en découdre en trois secondes chrono, fasse  partie d’un certain sérail, qu’il soit “un proche de”, comme on est touché par la grâce d’être un fils “de”. Voyez les Chiens de Garde. Vous donnez dans la caricature. Je n'ai pas été remercié, même par mon prénom...
Ce comportement n’est pas même cynique ou volontairement méchant, il serait peu nuancé de le croire. Il est subconscient. Il appartient aux codes, à l’éducation, au mimétisme d’un milieu de privilégiés qui, comme dirait Monique Pinçon-Charlot, sait faire jouer à pleins tubes les réseaux de connivences et leur solidarité, et où la conscience de classe est plus forte dans ces milieux que partout ailleurs. 
On est bien, sur une chaîne publique, mais chez une néo-aristocratie persuadée de détenir la vérité infuse, où la notion de citoyen est tout à fait particulière, partielle pour ne pas dire partiale, infatués de leur patronyme connu et reconnu, dont la notoriété et leur présence en plateau est quelquefois transmise en héritage, et qui sont anxieux d’avoir peut-être à le perdre, du moins à perdre les prérogatives d’un pouvoir qu’ils s’accordent. Pouvoir de faire campagne à la place des candidats pour mieux contourner les règles républicaines, nouveauté de 2012, par exemple. 
Je retiens de cette expérience et de cette campagne présidentielle, calamiteuse du point de vue médiatique mais ô combien magnifique quant à l’implication citoyenne, que les tauliers du système médiatico-politique sont vent debout dès le premier frémissement populaire, dès la première velléité de reprise en main des ses propres affaires. 

Enfin, j'écris dans un moment où le contexte est tout à fait particulier. Nous étions à J-6 du premier tour de l'élection présidentielle.


Prenons la mesure de ce qui se passait :
Que n’a-t-on insulté, vilipendé, tous les jours depuis le grand rassemblement de Bastille le 18 mars 2012, ce mouvement populaire de prise conscience et les meetings didactiques du Front de Gauche, à travers la figure de son porte-parole. Se réclamer de lui en direct deviendrait presque un héroïsme insensé lorsqu’on entend les thuriféraires de Miss Thatcher expliquer qu’une bande d’excités écoutant et beuglant des slogans leur font vaguement penser aux foles des heures les plus sombres de l’histoire, bla-bla... Même Jean-Marie Le Pen ou Pierre Sidos n’ont eu droit à ces répudiations infamantes de la part d’une profession a priori instruite et qu’on dit pourtant plutôt de gauche. C’est dire l’ignominie de ceux qui font dans leur froc. Ils sont conscients de tous leurs nouveaux privilèges, et ils tremblent à voir qu’un candidat un peu plus en raisonnable que les autres y pourrait mettre fin. 
Finissons-en avec ces médias à la botteen élisant les patrons de grandes chaînes publiques comme le propose M. Mélenchon. 
Lui comme nous, n’avons pas oublié que les nuits du 4 août pourraient se re-fêter en 2012 et chaque année suivante, au gré des crises, et en particulier de leurs crises de conscience.
En 2005, nous partîmes libres, en êtres librement informés, mais par un prompt renfort nous nous vîmes entourés de cerbères en arrivant au port. En 2012, ils réitèrent leur tour de garde car ceux-ci ne s’avouent jamais vaincus ; ça tombe bien, nous non plus.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Restez humains même sur Internet : commentez dans un esprit confiant et contructif.