vendredi 2 septembre 2016

Renoncer, toujours renoncer.





Je tremble en l'écrivant. Je suis quoi, citoyen d’un pays instruit qui mange à sa faim. J’ai sous le nez des tas de biens matériels que je ne peux m’offrir, et ça tombe bien, car je n’en rêve pas. J’ai appris à ne pas. J’y suis si bien parvenu avec beaucoup d’entraînement que je me contrefiche de posséder une montre en or ou en toc, une voiture ou un voilier, un hydravion. Je m’en fiche comme d’un fer à repasser.

J’ai peu à peu su résister à ces tentations ; peut-être par ce que le langage me l’a permis. Qui sait ? Ou parce que j’ai rentré. Détourné le regard. J’en crève moi aussi.



 

Un jour, un maudit jour de pleine lumière, une pancarte accrochée à une maison. Grise et bleu, par détour. Une maison de mer, aussi haute qu’ancienne, d’où tout un rêve pourrait jaillir. Un endroit qui semble vous avoir attendu, qui vous rappelle une odeur d’enfance, la brique rouge d’autrefois. À vendre. La voix vous annonce que vous feriez un beau candidat. Parce que vous rêvez de cette maison pour elle-même d’abord, et pour vous, votre famille encore en cours, pour les enfants futurs de leurs enfants à elles.



Vous avez 47 ans, ça y est, la fin vous guette. C’est la première fois que vous composez le numéro affiché sur la pancarte «à vendre». Avant on n’y pensait même pas. Renoncer, toujours renoncer. Mais tout vient à point à qui sait attendre même éternellement. C’est beau une première fois. Vous visitez l’intérieur d’une maison que vous voulez faire vôtre. Et elle est calme, et elle est belle. Hâvre de repliement qui tend les bras, et foyer chaud et tombeau tout à la fois. La visitant vous élisez ce domicile aussi, saine élection à vie.



Le chiffre survient et avec lui le banquier de ce pays. Deux-cent cinquante mille. J’en sue encore. Il vous dit que vous devez gagner assez, ce qu’on savait déjà. Parce que, raison suprême, vous n’êtes pas déjà propriétaire, alors vous ne pouvez pas élire domicile secondaire en ce lieu-là. Parce que vous êtes sensé travailler à Paris alors vous ne pouvez prétendre à une résidence principale dans le Pas-de-Calais sous les mouettes rieuses. L’établissement ne le comprendrait pas. Vous pouvez louer la partie  basse de la maison aux étudiants de l’hôpital des grands blessés, et cela vous suffirait pour rembourser le crédit ; mais les «tu l’auras» ne sont pas des «tiens» pour une banque qui «détient» votre compte. Et vous n’êtes pas des leurs.



Le vent de la mer repasse dans mes narines en remontant jusqu’en bas. Le soleil fouette. 
Sous le nez vous la voyez passer, la demeure. Vous n’aurez donc rien à transmettre, pas de plaisir outre-existence, aucun refuge à leur pourvoir en guise de souvenir de vous. Rien pour vous abriter en cas de pluie. Parce que vous fûtes déshérité à la naissance, que vous ne vous battîtes point assez bien, que vous ne fîtes point assez de victimes autour de vous, que vous ne fîtes jamais que ce que avez le droit de faire, c’est-à-dire «rien», et que vous fûtes trop bien élevé pour sortir des clous. Non, vous ne hanterez pas les murs de cette demeure. Vous n’êtes décidément, mon pauvre, pas assez riche pour prétendre posséder une demeure familiale à Berck.

Et parce que le propriétaire est déjà par essence propriétaire, il le restera ad vitam aeternam, vous locataires, devez bien le rester, par existence, locataires, et subviendrez à ses besoins ad vitam loyeram, sans qu’il ait à les réclamer ni les mendier, surtout pas, ses loyers, et qu’il en soit ainsi. Amen, comme on dit Merde.
Je me sentirais l’âme Bolchevique.



Les possédants ont une famille. Les autres ont des moutards à torcher, auxquels il faudra bien ouvrir une ligne de compte histoire de régler vos pompes funèbres.


Et pourtant, il faut en ventiler des dossiers d’accession à la primo-accession, le même guichet sera commissionné, fortement, en plus de la subvention que l’Etat verse encore pour récompenser le même guichet de sa bonne ventilation. 


Crédit, création monétaire, une seule écriture qui ouvre à la même banque sur 20 ans le profit du taux usuraire auquel elle vous prête. Pour elle, c’est gratuit, et c’est tout gagnant. Pour vous, ce n’est même pas payant puisqu'elle ne vous accorde pas son écriture en création monétaire. Pas assez riche pour rembourser, c’est-à-dire trop pauvre pour détruire cet argent créé de toutes pièces. Trop pauvre pour gagner de l'argent. Voilà les faits. Elle ne voudrait pas couillonner les pauvres, la banque privée, ni moins encore se faire couillonner par eux. Les déjà possédants jouent leur rôle de riches à plein tube. Les encore pauvres sont là pour passer. Et les toujours pauvres trépasser. Ad vitam nauseam.


Sortir de ce cloaque dans la fumée pourrie des camions. Prendre un café bien amer. S’asseoir, dire à une amie qu’on n’en veut plus. Pas qu’on n’en peut plus, mais qu’on n’en veut plus, de cette conformité jamais récompensée, de cette mise au pas qui fait plaisir à tout le monde sauf à soi.

Pourquoi ceux comme moi qui n’ont pas accès à la propriété d’une chambrette paient-ils encore des impôts par-dessus le marché des dupes ?

Pourquoi partir travailler le matin et laisser nos enfants à d’autres ?
On y laisse le temps de nos vies, le temps de nos corps.
On y laisse des occasions d’habiter réellement quelque part.
Mais pourquoi on se fait chier dans ce pays ? On contribue à quoi ?


Tel qu’on nous parle, et tel qu’on nous traite, on nous demande rien moins que de bien vouloir vivre en pourceaux, de trimer comme des rats et de penser comme des porcs : on se goinfre de merde et on chie des balles. Avec l’illusion de notre argent.



Je vous le dis à l’oreille (mais vous feriez mieux d’écouter Mort et Transfiguration de Richard Strauss) : retirez votre argent des coffres où il n’est pas. Privez-en ceux qui le capturent. Faites ce que font les banquiers, n’ayez rien en caisse, mais achetez de l’or. Faites de vos rêves cet or.
N’ayez que l’art, et encore… à peine l’enfance.

Le R.S.A est l’ultime horizon des hommes instruits de ce pays que l’Etat a toujours abandonnés, bâtard qu’il est devenu, créateur de bâtardise, abandonneur des porteurs de son sang.

J’aurai bientôt, moi, l’expertise en art de ne rien foutre.