jeudi 30 août 2012

L'histoire de Benjamin Rives : suite à l'article paru sur Agoravox

mise en ligne : courrier reçu de Pôle emploi 


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Mise-à-jour  : au lendemain de la parution de l'article ci-dessous paru sur Agoravox le 27 août 2012  (par hasard, datée du 24, mais postée le 27 et reçue le 28...) le Pôle Emploi écrivait à son allocataire exclu de l'assurance-chômage une lettre comme quoi sa situation s'expliquait parce que certaines de ses périodes de travail n'avaient pas été enregistrées.

Il apparaît que Pôle emploi joue à cache-cache avec ses allocataires. Et alors même qu'il y a des famille à nourrir, des expulsions à la clé, et dans certains cas des longues maladies.

Si celui-ci a sûrement oublié de déclarer quelques cachets, cela est bien involontaire, car chaque période de 12 h compte, et l'allocataire en attente n'aurait pas eu un intérêt quelconque à maquiller une seule période d'emploi ! D'ailleurs ce ne serait pas possible, puisque Pôle Emploi a tout le contrôle en double, employé/employeurs. Donc la question d'une omission à intention frauduleuse ne se pose pas !

En revanche, il est invraisemblable que Pôle emploi qui possède les preuves en double de toutes les périodes travaillées ne fasse pas part au salarié des informations qui auraient clarifié le dossier -comme ici lorsque le déclarant a oublié une période.

Donc ici, on voit clairement QUI a intérêt à ne pas révéler à l'intermittent qu'il a plus d'heures à son compteur qu'il ne le croit : Pôle emploi ! qui réalise par là une économie temporaire jusqu'à ce que le salarié apporte la preuve de son omission, alors même que Pôle emploi a toutes les informations à sa disposition pour accorder son allocation à une personne qui en a besoin et qui manifestement n'a pas pu frauder...

Jeu cruel, car toute erreur est humaine, la comptabilité du salarié intermittent compliquée, et dans notre cas il aura fallu attendre 2 ans entiers et un article sur Agoravox pour que Pôle emploi reconnaisse son manque de bonne volonté (et c'est un euphémisme !).

Il est à noter que cette lettre ne comporte ni en-tête officiel, ni cachet, ni signature. Mais soyons doux avec l'administration qui est si dure avec nous... le courrier ne dit pas non plus si l'allocataire va recouvrer ses droits... étrange courrier qui en dit trop, et trop peu.

En retour, que dirait-on à un intermittent s'il ne signait pas sa demande, n'apportait pas tous les justificatifs même ceux que Pôle emploi possède déjà en double, ou se serait trompé de date sur une seule déclaration parmi cinquante autres ?

Alors qui est à la disposition de qui ?
Je croyais naïvement que l'administration de service public -si Pôle Emploi en est toujours un- était à la disposition du public et non le public à disposition de l'administration...

samedi 25 août 2012

La très-ordinaire histoire de Benjamin Rives



ou comment Pôle Emploi-Spectacle pénalise ceux qui déclarent bien.






La rénégociation de la convention sur le régime d'assurance, dite des Intermittents du spectacle (110 000 personnes, 40 corps de métiers), va bientôt avoir lieu.



On entend déjà le retour de voix discordantes remettre en cause le bien-fondé de ce statut particulier accordé à ces travailleurs particuliers. 



C'est à elles que je destine l'étrange histoire de Benjamin Rives.* Elle se passe en France, en 2011.



À connaître le parcours de ce monsieur Benjamin Rives, l’on comprendra mieux comment de trop honnêtes citoyens qui ne se réfugient ni dans l’alcool ni la délinquance, pleins de la bonne volonté de travailler, font face à la violence administrative. C'est le récit d'un travailleur intermittent du spectacle, soucieux d'utilité sociale, qui a perdu tous ses moyens de subsistance pour la raison qu'il a donné de son temps aux enfants des écoles de Paris. Fainéants, vous disiez ?

Alors que les allocations de chômage d'un professeur-remplaçant de l'éducation nationale sont améliorées quand il réalise quelques prestations dans le secteur du spectacle, le même bureau des intermittents prive de ses droits sociaux l'artiste qui oserait donner quelques heures de soutien scolaire. Cet état de fait juridique, ce scandale sans nom, peut aussi prendre un visage, celui de l'expulsion.

Benjamin, vous connaissez sûrement mieux sa voix que son visage. Père de deux enfants, travailleur journalier par statut, il a commencé à contribuer à l'Impôt sur le Revenu le jour où, comédien au théâtre depuis 12 ans, il a commencé d’enregistrer pour la télévision les voix des documentaires et séries.

Comme on a affaire à un vrai professionnel, formé aux écoles nationales supérieures d'art dramatique, on ne pourra pas dire, comme les habituels esprits chagrins, que c'est encore là « un de ces artistes improvisés et marginaux, bla, bla, bla... » Non. Arte, France 5, TF1, sont parmi ses références. 
Formé pour le théâtre, il n’aura vraisemblablement jamais les faveurs du théâtre public, car il y aussi dans ce milieu des raisons arcanes ou des aristocraties d'Etat... 

Le chômage donc, il connaît. Dans les années 60, ce chômage apparaissait comme la plus sûre expression du gâchis des compétences, de la gabegie des fonds publics. Un artiste comme lui, formé par l'Etat et reçu aux concours nationaux, devrait travailler toute l’année sur les plateaux des nombreuses structures culturelles que le pays compte, mais aujourd'hui dans la société néo-aristocratique du spectacle, ce chômage endémique est devenu le minimum minimorum des dysfonctionnements d'un régime de production libéralisé à l'extrême« Passes-droit » et « fils-de » sont devenus l'apanage du démantèlement du service public, dans ce domaine aussi.

L'iconographie officielle hélas, nous a habitués aux clichés sur lesdits “Intermittents”, en tapissant ses Unes avignonesques de faméliques fumeurs de joints aux cheveux gras. C'est de toute façon plus subtil, car la majorité des professionnels de ces métiers se fond dans la masse des anonymes. Ils sont soit en activité, soit à sa recherche, et ne font pas profession d'attendre un subside de l'Etat, contrairement au cliché entretenu par la droite plébéienne et les opposants à tout syndicat. Oui, tous les artistes de tous pays se passeraient volontiers de l'assurance-chômage ; s'il n'y avait pas besoin d'assurance, c'est qu'il n'y aurait pas de chômage... car rien n'est pire à un artiste que de ne pas travailler. De plus, l'administration de ce statut exige en France une attention comptable de chaque instant, que ce soit des instances officielles ou des salariés eux-mêmes... hélas.

Ce que le lecteur étranger à ce secteur doit bien savoir, c’est que l’intermittent accepte une hyper-flexibilité, une hyper-disponibilité que refuseraient bien des quidams, et sans forcément jouir de la gloriole que les métiers artistiques sont censés rapporter. Et avant que quiconque en vienne à traiter les intermittents de « feignasses mal embouchées », le lecteur qui s’imagine défendre un ordre néo-libéral idéalisé doit comprendre que c’est par cette totale disponibilité sur ce marché particulier du travail qu’ils assurent la pérennité économique des entreprises de tout un secteur d'emploi. Ce secteur tout entier génère 80 Milliards €/an en France. Sans ce régime d'assurance-chômage, le prix du travail des artistes et des techniciens se hisserait à des hauteurs que les employeurs et les mêmes esprits chagrins trouveraient scandaleuses. Ils appeleraient ça un coût.

Mais voici la via crucis de caniveau que longe Benjamin Rives. Notre homme n’est qu’un artiste prêt à l’emploi, mal né comme tant d’autres.
Dès 2010, et après vingt ans de présence dans son métier, il voit son activité baisser comme cela arrive quelquefois sans que l’on comprenne toujours bien pourquoi. Ici, c'est la délocalisation des studios de doublage en Belgique pour d’évidentes raisons fiscales... C’est alors la fameuse “traversée du désert”, vous savez, celle que les chouchous du public invoquent toujours pour expliquer leur exil sur un bateau entre St Martin et les Bahamas. Chez lui, c'est le frigo qui est désert.

Benjamin Rives commence par imaginer une autre issue, et porte sa candidature au Cabinet du Ministre de la Culture qui recrutait, sans concours cette année-là, des agents de 2 ème classe. Et c’est au cabinet en effet que finit sa lettre, comme y sont allées toutes les autres, naguère envoyées comme comédien “sur le marché” aux Mesguich, aux Braunschweig, aux Py, à tous ces sires d’une scène dramatique qui porte décidément bien son nom.

De candidature en candidature, viennent celles d’adjoint administratif de catégorie C (il a un niveau II non-universitaire), pour les piscines de la Ville de Paris, le gardiennage des musées. Chaque fois, c’est une fin de non-recevoir, et des commandements d’huissier en pagaille qui, eux, sont bien reçus.

Puis survient l’erreur fatale. Pour améliorer le frichti de sa famille qui ne part pas en vacances depuis 3 ans déjà, il accepte un boulot en plus, les jours où on n’embauche pas dans les studios : surveillant d’école.

La Mairie de Paris a bien du mal à recruter des surveillants inter-classes et surtout des détenteurs d’un Bac pour assurer le soutien scolaire des enfants parisiens de l’école Elémentaire qui passent leur goûter à étudier. (le terme “recruter” est aussi outré que celui de “contrat” lorsqu’il s’agit de vacations dans un hors-cadre légal, mais disons que la Ville de Paris “recrute”).

S’ensuit alors pour Benjamin Rives une année riche, où deux heures sont données le soir à l’assistance aux devoirs, à l’apprentissage des récitations, (par là, sa formation artistique produit ses fruits et nombre d'élèves ont découvert ce que pouvait signifier pour eux un texte). Les jours où un cachet se présente, notre père de famille court littéralement des cantines aux studios pour revenir à son poste à 16 h 30. Chaque cachet est bien entendu déclaré, et sa nouvelle activité, rémunérée à la tâche, ne l’est bien sûr pas pendant les périodes de vacances. Chaque mois, sa fiche de paie oscille entre 199 euros et 350 euros les mois pleins.

Evidemment, Benjamin dénote dans ces cours de récréation. Son premier jour, des élèves l’interpellent : « Monsieur le riche ! ». En termes de “richesse”, précarité totale du salaire et aucun droit pour les vacataires, ni d’accès au Service Social de la Ville de Paris en dessous de 20 h/semaine. Riche !

Une maltraitance d’enfant plus tard, perpétrée par un animateur titulaire dans la cour d’école, et son témoignage, capital devant la Police en charge de l’enquête, et voilà la direction des Affaires scolaires de la Ville de Paris qui accède à la requête -officieuse- du directeur de cette école de ne plus recourir à ses services de soutien scolaire. Manière élégante de remercier Benjamin d’avoir respecté le protocole indiqué en cas de danger, et d’avoir osé révéler à la Police les faits nus, sans volonté de protéger quiconque, sauf un enfant en détresse face aux adultes… bref.

Ayant observé dans deux écoles la mauvaise appréhension des enfants par des animateurs souvent mal formés, peu qualifiés et peu considérés, il propose  au Maire de son arrondissement, Patrick Bloche, de lui confier une mission d’observation en vue d’éviter les situations à la limite du pénal que certains parents peinent à faire entendre aux directeurs des écoles. Point de réponse et, une baisse d'activité en studio et point de théâtre en vue, un chômage total. Benjamin ne voulait que faire profiter la collectivité entière de son observation, et transformer une douloureuse expérience en compétence nouvelle. Tant pis.

Question cotisations, cette année-là, il totalisera 450 h dans le secteur public et 528 h dans le secteur privé, presque 1000 h de travail. Il n'aura pas un centime d’assurance-chômage... Deux lignes de cotisations dans deux annexes Unédic différentes, qui réduiront toutes les cotisations à zéro, rien ! C’est là le comble de la situation : en vingt années, Benjamin Rives n’avait jamais autant travaillé. Le Pôle emploi a dénié le paiement d'allocations de chômage d'une année entière à un honnête intermittent qui avait tout déclaré et n'avait pourtant pas cessé de travailler dans son secteur ! Merci, quelle leçon...

Et comme un malheur n’arrive jamais seul : de 528 heures comptabilisées qui lui auraient ouvert des droits, il passe comme par magie à 492 heures, fermez le ban ! En effet, Pôle Emploi-spectacle s’est permis de jeter le doute sur 3 cachets réalisés le même jour pour 2 sociétés différentes, bien que le cas soit parfaitement légal et corresponde bien à trois contrats de droits différents. Pôle Emploi, au bénéfice du doute,  a pratiqué la présomption de culpabilité, tout intermittent étant pour cette administration devenue oppressive un fraudeur en puissance : les 3 cachets de 12 heures qui permettaient à son allocataire d’accéder à l’assurance-chômage avaient été tout bonnement effacés. Cela eut l’avantage de faire repasser notre infortuné citoyen dans le camp des exclus de l’assurance-chômage.

Cotisant mais non-indemnisé : voilà la recette.

Mais plutôt que de reconnaître ce tort invraisemblable, Pôle Emploi a préféré indiquer à Benjamin Rives que, puisqu’il avait travaillé à la tâche pour la Mairie de Paris, il était désormais considéré comme “Salarié d’un Etablissement Public”, en un mot un fonctionnaire ! Apprendre ça en fin de droits fait l’effet ou d’une bonne nouvelle, ou d’une mauvaise blague, au choix.

En clair, il aurait fallu que notre intermittent soit obligé de renoncer à son indemnité de chômage pour préférer demander une aumône publique équivalente au Rsa. On lui demande d'accepter 380 €/mois d'allocations et renoncer à 1200 €/mois de la caisse où il a cotisé. Or, sur un an qui va travailler davantage tout en faisant un chèque de 8000 euros ? On dira que les intermittents sont des masos.

Entre-temps, son dossier se trouve lui aussi effacé des registres du Pôle Emploi-Spectacle. Le nouvel exclus est convoqué à une agence ordinaire qui écarquille les yeux d’avoir dans son registre non plus un artiste, mais un “Professeur de français”... bref, son dossier avait été modifié, par qui, pour quoi... Privilèges des intermittents, là aussi ?

En d'autres termes, qui tordent bien le cou à tous ces chevaliers bleu-blanc-rouge de la probité : toute cette merde noire ne se serait pas abattue sur cet intermittent s'il était resté chez lui à percevoir l'entièreté des se allocations de chômage, plutôt que d'aller travailler.



De l’exclusion à l’expulsion

Et puis le temps passa lentement, les demandes d’embauche infructueuses se succèdèrent. Vient le dégoût, puis survient l’inacceptable. Une missive d’Huissier indique qu’il sera frappé un prochain matin d’un « Commandement de quitter les lieux ». Dommage pour lui qui venait de passer un entretien pour le recrutement de 160 agents administratifs en Préfecture de Police en mai dernier, et sur 200 candidats n’avait pas été retenu ; à la lecture de sa convocation pour expulsion, le Commissaire en faisait les yeux ronds.

Mais il est vrai que ce métier de « comédien » trimballe une image tellement mauvaise qu'après l'avoir plombé de l'intérieur, il peut aussi, le cas échéant se retourner contre l’artiste qui voudrait en sortir.

En résumé, plus personne autour de lui ne veut prendre ses responsabilités, pas même le TGI de Paris qui n’audience pas sa requête et son avocate qui commet l’inadmissible oubli de former un recours contre son expulsion… Double peine, on voudrait l'expulser avec femme et enfants pour libérer son logement, et y placer une famille relogée en urgence ! Absurde mais juridiquement possible.

Plus personne -en somme- pour faire son travail correctement dans ce pays. Benjamin Rives qui ne demande que ça, faire son métier, a tout autour de lui des acteurs sociaux qui ne font pas le leur. Et on vient colporter que les intermittents sont des privilégiés.

Il faut donc en arriver là pour que des réflexes endormis de solidarité se mettent en place. On n'en serait pas là si les officines s'étaient préoccupées de quelqu’un qui a tout l’air d’aller bien, s'habille, se rase, déclare tout aux impôts, fait des efforts.

En attendant, comme artiste lorsqu’un cachet arrive, il faut rester alerte, compétent, performant, il faut “gagner” contrat après contrat, en ayant bien conscience que dans ce marché du travail, l’émergence d’un gagnant signifie d’évidence la mise au placard de nombreux perdants. Et le tout, en courant, de cabinets d’avocats en bureaux d’élus, de façon à éviter l'expulsion. Tout ça en même temps.

La fin de cette histoire est connue d'avance. Le Médiateur de Pôle emploi fait le mort. Le bailleur social va proposer une solution de relogement à cette famille à Sevran ou à Montfermeil (93), où elle sera relogée gentiment, ce que sa femme ne supportera pas ni lui non plus, ancien gosse des quartiers qui avait le sentiment d'avoir fait du chemin dans la vie. Elle repartira avec leur fille de six ans sous le bras en Italie. Et voilà comment une mauvaise foi paperassière se transforme en tragédie sociale pour une famille qui ne fait qu'essayer de donner à leur enfant une éducation, un environnement les meilleurs possibles. Cette famille française ressemble à tant d'autres en 2012 qui, pour autant d'efforts à gagner sa vie du matin au soir, ne part plus en vacances depuis plus de trois ans, n'a ni voiture, ni résidence secondaire, n'achète rien à crédit, et mène une existence simple, sans chi-chis et sans amusement.

Honte à nos administrations démantelées, privatisées, automatisées, qui n'ont plus les moyens humains de voir qui fait quoi, de voir qui fraude, qui non. Honte à ceux qui diffusent le mensonge d'un soi-disant privilège de l'intermittence. Ces gens-là ne savent pas de quoi ils parlent.

Quelle est la morale de cette histoire devenue banale dans ces métiers ? Il n'y en a pas. Ceci tombe sur une famille parce que le pater familias a bien déclaré, trop honnêtement, régulièrement, les quelques heures d'un travail utile socialement, nécessaire pour certains voire urgent, pour lequel une dizaine de gosses de Paris garderont un souvenir ému. C'est au moins une compensation. Celle de la vie sur le droit mortifère.

Propositions 

Ce qu'il faut se mettre dans le crâne à coups de marteau, c'est que l'administration du spectacle est si compliquée, et la chasse au lapin fraudeur est tellement ouverte, que l'on en arrive à ce paradoxe : toute activité légale est soupçonnée de cacher une fraude. Hélas ! Ensuite, que pour rémedier et à la fraude et à ces situations kafkaïennes il faudrait :


  • unifier les annexes Unédic de façon à ce que personne ne puisse cotiser sans percevoir de droits.

  • ou alors, que l'on mette sur pied une véritable Sécurité sociale professionnelle ; des droits individuels garantis collectivement, opposables à tout employeur et transférable d’une entreprise à l’autre, d’une branche à l’autre. http://www.cgt.fr/Etablir-une-securite-sociale.html

Puis accessoirement, il faudrait, cher Benjamin Rives, pouvoir s’engager sans crainte dans les métiers du spectacle si on en a le talent, si on en réussit les concours publics, même si on n'a pas derrière soi un réseau puissant dans ce milieu pour assurer son entrée dans la carrière, ni surtout une famille aisée pour assurer son logement…

Quand on pense qu'en Belgique, grand pays, il suffit de justifier d'une seule journée de travail en activité technique ou artistique pour voir son indemnité -plafonnée à 1400 €/mois- reconduite... Mais on est en France. Effacer des cachets qu'il faut aller chercher avec les dents, jour après jour, rien de plus facile pour une gestion automatisée ; diligenter des enquêtes inutiles, rien de plus économe pour Pôle emploi.

En France en revanche, où la production culturelle génère 4% du PIB national, les artistes ont comme l’immense majorité des salariés cette douloureuse impression d’appartenir à une meute de chiens. Que l’on soit chien de race ou simple bâtard, il faut sans cesse tirer le traîneau, se faire cravacher avec juste le droit d’aboyer pour toute pitance au bout du chemin.

À connaître le détail des tracasseries paperassières, des pinailleries technico-administratives de Pôle Emploi-Spectacle, sa mauvaise foi aussi légendaire que gestionnaire décrite ci-dessus, on se dit que tant que notre société continuera de soumettre les professionnels du spectacle à un régime de flexi-sécurité à la fois aussi fliqué et aussi précaire, les officines des juges ne manqueront jamais d'activité.

Benjamin Rives n’est pas un fraudeur, c’est au contraire un véritable intermittent du spectacle, qui a besoin que la société respecte son contrat social pour “survivre”. “Vivre” serait encore trop demander.

L'auteur de ces lignes plaide, exhorte les partenaires sociaux et le gouvernement à revenir à l'évidence du calcul de ces droits-là sur 12 mois et à date anniversaire. Ces prochains droits qui, s'ils n'élargissaient pas le champ couvert par les activités liées à l'utilité sociale et à la transmission de leurs savoirs, doivent faire en sorte que l'on n'en vienne plus à jeter à la rue un demandeur d'emploi parce qu'il aurait osé sortir de son « annexe VIII et X » d'origine.

Enfin, aux adeptes de l'équitation jamais descendus de cheval, qui trouveraient ce régime d'assurance-chômage trop «onéreux», qu'ils se reportent donc aux coûts exorbitants du travail par Intérim, l'annexe IV, et se demandent pourquoi celle-ci n'a jamais paru trop coûteuse au Medef...






P.S : si vous-même étiez en capacité d'employer ce comédien professionnel n'hésitez pas à le faire savoir. C'est avec la joie de celui qui cherche à faire son métier, et non à toucher des allocations, qu'il vous enverra son CV, et viendra auditionner pour vous : bien.dit@gmail.com


* le patronyme a été modifié
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** mise-jour : courrier reçu de Pôle emploi 




mercredi 22 août 2012

Fafet, l'affront

J'aimerais ajouter mon témoignage sur la réalité des quartiers-nord d'Amiens. Un témoignage policier, de toute évidence, est relayé ici par le blog Europe-Ecologie de Bagnolet. Le constat y est chirurgical et il a le mérite d'être factuel. Mais je voudrais y ajouter une ligne de diagnostic, sans tabou, sans concession, sans lâcheté.





Amiens-nord, plus encore Fafet-Brosollette, c'est la préfiguration de ce que serait la France, réduit à l'état de la Grèce, dans dix ans. Le retour aux luttes de territoire, la complication d'un désordre social comme il y a des complications médicales, la convergence malheureuse de l'exclusion, de la pauvreté, et de l'ignorance.

D'abord, à toute chose malheur est bon, puisqu'enfin on en parle. Y compris la Police parle. Ce qui me gène, c'est que tout le monde fait un peu semblant de découvrir. Or, cela fait trente ans que ce quartier dégénère. Il s'enlaidit, même au gré des embellissements et des volontés de réhabilitation, comme on dit. Mais le vernis extérieur se craquèle tous les jours.

Qui n' a pas vécu à Amiens-nord ne peut pas comprendre. Je me souviens, pour avoir passé toute mon enfance dans ce quartier d'Amiens, au Pigeonnier (rues Couperin et Watteau) qu'il y a toujours eu une terreur latente. On pouvait dans les années 70 flâner dans le quartier à vélo ; c'était un peu l'Italie, le soleil en moins. Mais je me souviens aussi qu'on n'était pas tranquille. Combien de nous, pauvres, fils de pauvres, se sont fait voler leurs affaires, leur mobylette, leur vélo, molester, casser la gueule pour rien... par qui ? Par d'autres fils de pauvres,
venus d'Algérie entre 63 et 73 pour travailler. 

Je tiens à préciser à ceux qui s'en réjouiraient, que je ne suis pas devenu lepéniste pour autant, même après m'être fait longtemps insulter  de "sale Français" -alors que je n'ai moi-même jamais insulté un petit camarade sur ses origines- mais j'appelle de mes vœux une gauche autoritaire (notamment avec les plus riches) autant que solidaire (notamment avec les plus pauvres).

Ici, me revient en mémoire le mot de l'un de mes copains, Abderazak, dont les parents étaient arrivés en France juste quelques années auparavant. Il me disait -"toi t'es sympa, mais tu sais, mes parents ils m'ont dit que nous, on est là pour niquer les Français". Eh oui, terrible. Terrible avenir qu'ils préparaient à leurs enfants, en leur inculquant les bases d'une perception revancharde et, de fait, paranoïde de leur environnement social ! On y est.

Ce n'est qu'un exemple isolé me direz-vous, et il faut se garder des généralités et des amalgames. C'est juste. Mais les lecteurs issus de cette immigration très pauvre et très marquée par les horreurs de la guerre d'Algérie, comprendront ce que je veux dire. Ils en ont souffert eux-mêmes, c'est évident. Et ils sauront que je les comprends. Les autres, jeteront un voile pudique devant leurs yeux et se pareront comme toujours d'un angélisme anti-raciste, bien pratique, mais complètement à côté de la plaque (
d'ailleurs, comme si le racisme était le sujet...).

A cette époque, tous nos pères travaillaient à l'usine, à Ferodo, à Good-Year, à Dunlop, à Procter, ou à l'hôpital nord ; tous. Et ça fait là une sacrée différence avec la situation actuelle. Et je vous prie de croire que lorsqu'ils nous appelaient à la fenêtre, ça ne mouffetait pas. Une génération de chômage après, dans des conditions de logement concentrationnaires, l'enfant de Fafet a quels repères, et les pères ont quelle autorité ? 





C'est ce que le Parti Communiste, longtemps au pouvoir à Amiens, n'a pas su voir lorsqu'il a imaginé en 1955, avec des architectes qui devraient être pendus, 21 barres d'immeubles dont l'organisation et même la structure d'acier sont apocalyptiques (on entend le voisin faire pipi ou se faire cuire un steack). Car on ne réunit pas 25 000 habitants sur quelques hectares sans penser aux conséquences. Surtout lorsque les maladies professionnelles y côtoient un jour la maladie du chômeur de très longue durée, la maladie tout court. Déjà il y a trente ans (j'ai 43 ans), le bon candidat dit "de Gauche" avait déserté ce quartier. Le remède apparaît désormais soit comme médical, soit via une politique sociale de grande ampleur, comme par exemple la réindustrialistaion et la définanciarisation de notre économie, mais là on rêve debout... puisque dès que l'occasion électorale se profile, on nous sort une "Affaire-Merah" (voir les 19% de Mélenchon donnés par la DCRI le 16 mars 2011, soit trois jours avant l'éclatement des meurtres de Toulouse).

Bref, il ne faut pas être un grand urbaniste éclairé pour voir que l'être humain n'est pas fait pour vivre dans le désœuvrement, au beau milieu d'une jungle reconstituée en béton armé, où les enjeux de domination sur l'autre prennent des formes exacerbées de violence morale, symbolique, et physique. Et que dire du bruit... A Fafet on n'est pas encore à Gaza, où les drones vrombissent en permanence, mais le sentiment doit en être proche, car à Fafet ce sont des hélicoptères. 

Je le sais, ma mère y habite encore, qui allait faire la lecture sur les bancs des parcs, à tous ces gosses qui ont grandi. Elle qui passait pour une douce-dingue, aux yeux d'habitants résignés déjà, elle faisait tout ça spontanément, d'elle-même, bénévolement. Elle mériterait une Légion d'honneur pour ça. Car les premières choses qui sont absorbées dans ces forêts de béton, c'est la culture, et le lien social.

Alors à Fafet-Brosollette, on y entend désormais le haut-parleur d'un Muezzin fédérateur au coucher du soleil. C'est beau le chant, même si ça déroge légèrement au principe de stricte neutralité de l'espace public, et dans ce quartier pas le moindre tintement d'une cloche pour garantir la diversité. La laïcité à Amiens est reléguée au rang des antiquités. D'ailleurs, on s'en fiche. La République, chère à Jean-Pierre Chevènement, a déjà failli et dans les grandes largeurs : école, emploi, logement. Alors, pourquoi respecter religieusement les principes d'une société qui ne protège pas ses concitoyens, et qui ne leur donne pas les moyens d'acquérir un vrai épanouissement ? Quant à la présomption d'innocence là-bas, elle n'a plus cours.

Il est donc remarquable que dans ces points noirs sociaux de notre pays, les "jeunes" de ces quartiers hyper-défavorisés (au sens culturel du terme) de Servan aux Minguettes, de Montfermeil au Mirail en passant par La Viste, s'en prennent tous à leur environnement propre, et non pas à celui du bon bourgeois. Cela ferait plus de bruit mais les peines de prison seraient sûrement plus lourdes. Ces mouvements d'auto-destruction résonnent comme une velléité de suicide d'une génération d'oubliés qui arrive au bout d'un cycle. Il faut donc espérer que, de ce cycle, advienne quelque chose de tout différent, pour que jamais plus ces quartiers ne voient le jour, et qu'ils ne deviennent pas des sortes de Gaza en modèle réduit. 
Vous trouvez que j'exagère ? Passez-y seulement à pied, les flics vous regarderont de travers.
Quant à moi, je n'oublierai jamais d'où je viens : à chaque fois que je vois des images du Pigeonnier,  je me dis que j'ai bien de la chance d'avoir marché sur un autre chemin. Moi, c'est le théâtre qui m'en a sorti et donné la force d'aller voir ailleurs. Et si ces quartiers mettaient leurs souffrances en mots ? Dans le mot "maladie", il y a bien caché le "mal à dire". Pour l'instant, loin de l'imaginaire et des symboles, certains de nos enfants ont bien du mal à dire, et alors se mettent en scène, à leur propre détriment.


http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/Moto-un-vol-d-une-violence-extraordinaire/On-entre-dans-une-autre-problematique


http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/Toute-une-nuit-dans-un-quartier-en-etat-de-guerre

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/Moto-un-vol-d-une-violence-extraordinaire

http://www.courrier-picard.fr/courrier/Actualites/Info-regionale/Une-nuit-de-violences-urbaines