mercredi 28 novembre 2012

Petite réponse à Emilie P., Doctorante en mal d'avenir...

J'ai été ému à la lecture d'un article d'Agoravox d'une certaine Emilie P. et je me suis fendu d'une petite réponse que je publie ci-dessous. Son article est à lire ici.

Emu et agacé à la fois, car j'y ai vu à quel point le discours dominant, le syndrome TINA (There Is No Alternative), traverse toutes les consciences, y compris les plus fines.

Chère Emilie,
Comme on a de compassion et d'intérêt à vous lire. Il faut louer cette initiative de crever le mur du silence en décrivant honnêtement votre quotidien de chercheuse. Cela est suffisamment rare pour être souligné et vous le faites avec brio. 
Vous faites un constat élaboré mais restez évasive sur des préconisations qui semblent implicites, à vous lire. 

Ainsi vous dites : "L’adoption, il y a cinq ans, de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités ne règle pas les problèmes de sous-financement et ne permet pas une (ré)organisation efficace de son infrastructure. Les Universités françaises sont politiquement autonomes et terriblement seules. Même si les fonds privés sont* une solution à plusieurs égards, qui investirait dans la recherche littéraire ? (…) L’idéal serait de trouver un juste équilibre entre un financement public et privé."

Or, je vous invite à reconsidérer l'inéluctabilité que vous trouvez "idéale" d'un financement pour partie privé. En quoi serait-ce une "solution, à plusieurs égards" et quels sont-ils ? Si c'est pour vous un horizon indépassable, je vous conseille de vous rapprocher du Parti Socialiste qui se fera un plaisir de vous accueillir et de vous trouver un poste, armée comme vous l'êtes et dotée de cette belle sensibilité adossée à un vécu. Le bon constat mais les mauvaises réponses, apprises un peu par cœur...

Pour ma part, les fonds privés j'en vois assez les inconvénients. Ils sous-tendent même tout ce que vous décrivez par ailleurs dans la dévalorisation du travail, la pression à la baisse sur son prix (et non son coût), le découragement et le gâchis humain que vous-même représentez, alors-même que vous n'avez pour ainsi dire pas commencé. "Solution" est ici un postulat. Il serait plus scientifique -et c'est lié directement à votre condition- d'envisager la possibilité d'autres solutions. 

Je voudrais mieux me faire comprendre.


Prenons un exemple véridique de présence de fonds privés, et de l'influence de son actionnariat, dans le monde de l'édition. Des universitaires avaient réuni leurs travaux récents à propos la Shoah pour un très grand éditeur français spécialisé en Histoire. Un autre travail non moins important, mais qui aurait demandé cinq années de travaux, avec des contraintes de langue et des avances de frais qui auraient été nécessaires pour publier une originale Histoire des Tziganes. L'éditeur avait alors à faire face à deux types de pressions, concurrentielle et actionariale, et s'est vu devoir trancher entre les deux sorties. Que croyez-vous qu'il fût choisi ? Le sujet "le plus porteur sur le marché", la Shoah. Voilà un exemple parmi d'autres des exigences du privé, et de ses possibles répercussions négatives sur la recherche et la connaissance.


Vous touchez, peut-être sans le savoir encore un autre type de désordre, lorsque vous évoquez les nouveaux docteurs ès qui seront dans l’obligation de se tourner vers d’autres emplois en passant des concours. 


Vous ne savez pas à quel point ils désorganisent -à leur corps défendant- toute une filière de recrutement : à la Mairie de Paris on voit des DESS postuler aux concours pour des postes de Cat. B (niveau bac). Ce faisant, il sont mal employés, mal entourés au quotidien, malheureux ils s'engourdissent et pour les plus chanceux quittent le poste au bout de dix mois. En attendant, les "niveaux Bac", eux, sont au chômage de longue durée ou au RSA, car les premiers arrivés aux concours sont bien évidemment les sur-diplômés. Aucun espoir pour les plus modestes (intellectuellement) alors qu'ils auraient trouvé là une place à leur mesure…
 
Voilà pour la pression du chômage sur la société. Travail, recherche, création, c'est tout le corps social qui collapse sous ces diverses pressions, continues, lentes, interminables.

Vous comprendrez Mademoiselle, pourquoi j'en appelle de ce point de vue, pour ne citer que celui-là sans aborder les questions de choix économiques et de démocratie, à une révolution citoyenne.

P.S : le journalisme n'est pas bouché pour tout le monde, idem pour le cinéma, le théâtre, la littérature, la haute-finance et assurance, la médecine, bref, partout où il y a des niches argentifères, il y a une néo-aristocratie et ses jeunes pousses.



* présent corrigé par l'auteur elle-même, qui avait d'abord écrit "seraient" (!)

lundi 26 novembre 2012

Jean-Luc Mélenchon et le bien-être économique national

Même Martine, ma voisine de rez-de-chaussée dont le petit cœur balance entre un Copé fort en gueule et un Fillon en marbre dur, le reconnaît : "T'as vu chez Ruquier ? encore une émission de télévision où Jean-Luc Mélenchon fait un carton !". Puis mon amie Ariane Walter en a immédiatement conçu un énième article sur Agoravox, un de trop peut-être, sur le sujet de son admiration pour cet homme-là.


Or, je pense que cette focalisation sur la personne de Mélenchon est comme l'image inversée des attaques ad hominem. Aussi irrecevables : 

Il serait temps de passer à d'autres considérations. C'est vrai, jusqu'où va-t-il hisser le niveau des prestations télévisées que les spectateurs attendent d'un homme politique ? Mais attention, à force de trouver à Jean- Luc Mélenchon des qualités d'orateur, on ne cesse de prêter attention à la forme, qui est brillante certes, et on en oublie un peu le fond. Tout orateur, pour brillant qu'il soit, ne fait pas le visionnaire. Là, on a la chance d'avoir les deux pour le prix d'un.

La question du talent oratoire reste secondaire alors que la placer devant la rendrait dangereuse. Elle donne du crédit au pouvoir sur-dimensionné des mass-média au détriment de la critique ou de l'objectivité du citoyen. Car enfin Jean-Marie Le Pen en était un autre, qui maniait la langue française, à la rouerie et à la répartie légendaire, qui en a scotché plus d'un sur son siège de journaliste à la solde de l'intelligentsia social-démocrate ou démocrate-chrétienne suivant que l'interviewer était Libération ou La Croix. 

On oublierait alors un peu vite le fond de la pensée politique de Mélenchon et du combat que lui et ses centaines de camarades proches mènent actuellement, quelquefois au détriment de leur santé ou de leur vie de famille, pour innover en politique, pour faire avancer l'idée d'un socialisme alternatif ou Eco-Socialisme, bref, pour que ne cesse pas le Progrès.  

Effet pervers supplémentaire des médias, on ne cesse d'enfermer Mélenchon dans une solitude qui n'est pas la réalité de l'homme Jean-Luc. Qui parle de son journal en ligne tenu et daté de toutes les séances du Parlement européen où il siège avec une application qui force le respect. Quel autre député en fait autant ?

Qui parle du "Contre-budget" rédigé voici quelques jours par le Parti de Gauche ? (Il est ici disponible) 

Qui parle des femmes et des hommes qui œuvrent autour de lui, de Martine Billard, de Eric Coquerel, de Delphine Bauvaois, de Gabriel Amard, de François Delapierre, de Henri Pena-Ruiz, de Raquel Garrido, de Alexis Corbières, de Jacques Généreux, de François Longérinas, de Nathanäel Uhl, de Guillaume Etiévant, de Mathias Tavel, de Laurent Mafféis, de Laurent Levard, de Jean-christophe Selin, de Corinne Morel-Darleux, de Pascale Le Néouannic, de... il y en a cent comme lui, et autour de lui. Ariane pourrait leur consacrer autant de brillants articles.

Et puis survient la fin de l'émission, et Ariane Walter a raison tout de même : l'inoxydable Carole Bouquet, à la sensualité tellement débordante qu'on ne rêve même pas de la croiser autour d'un buffet froid, le reconnaît : "trésor national" a-t-elle lancé au milieu d'un parterre conquis. 

Je ne sais pas non plus si j'irai jusque là, car il y a dans cet excès de flatterie un zeste d'hypocrisie dont je sens bien cette femme là capable (la Carole, pas la Martine). Mais voilà : (je mesure mes paroles conscient que ça va faire grincer) 
  • C'est l'expression de "national" qui m'interpelle. Car en effet, selon moi, n'en déplaise à tous ceux qui s'effarouchent avec les mots et se couvrent de leurs lunettes rouges carmines, Mélenchon serait peut-être plus "nationaliste" que Marine Le Pen, au sens du bien-être économique et social "national". Absolument pas au sens du droit du sang bien entendu. Mais au sens hérité de la Commune où la Nation est un cadre juridique garantissant le contrat social. Il n' y aura pas photo à l'arrivée, si arrivée il y a. Quand plus de gens en seront persuadés, et cesseront de prendre la vessie de Marine Le Pen pour une lanterne, le programme politique du Front de Gauche, économiquement performant, écologiquement responsable et socialement juste obtiendrait facilement la majorité dans ce pays. Et c'est la même Carole Bouquet qui ajoute ce mot plus inspiré : -"Je préfère mon pays avec lui que sans lui". Moi aussi.



Oui, car la gauche socialiste est libérale philosophiquement (relire "Le Manuel critique du parfait européen" de J. Généreux). Mélenchon l’étant, il n’a rien d’un extrêmiste de gauche puisque son programme est socialiste (et pas communiste, désolé, ce sera pour plus tard, peut-être...).

On peut être parfaitement libéral et haïr le néo-libéralisme financier. Libéral et pour autant réorganiser les institutions juridiques, les cadres constitutionnels, les régulations financières et les barrières commerciales ! On peut très bien prôner et favoriser les échanges culturels internationaux et vivre dans un régime commercial moins ouvert, pour ne pas dire fermé, que celui organisé de force par l'OMC et ses thuriférarires de La Commission du dikat européen de Bruxelles ... (lecteurs de Fichte, bienvenue ici ...)

Qui nous a vendu depuis 1971 la libéralité des échanges culturels et linguistiques comme étant la valise embarquée du néo-libéralisme et des libres échanges commerciaux ? Les faucons américains, suivis par leurs toutous de la droite française Giscardienne puis Balladurienne. Or, c’est un mensonge.

Il y a des alternatives, et c’est ce que Mélenchon commence à faire saisir à un auditoire désorienté. Il faut le faire patiemment, car la re-création de représentations adéquates prend du temps face au rouleau compresseur totalitaire d'une information par trop univoque. Et c'est sur ce sujet (à la fin) que Mélenchon a été brillant, face à un Aymeric Caron qui ne savait plus quoi trouver pour que son patron Laurent Ruquier ne le trouve pas totalement transparent.

C’est la droite financière qui ne l’est plus, libérale. Pour faire 50% aujourd’hui enFrance après ce qui s’est passé en 2008, il faut donc qu’elle entretienne un rêve, voire qu’elle mente et sur le diagnostic et sur ses intentions. Si j’étais de droite et libéral, je serais furieux. Et je me dirais qu’il manque un Mélenchon à droite.

Peut-être que cet homme là, cet homme et les équipes qui l’entourent (et ils sont de plus en plus nombreux, experts, économistes, ingénieurs, écologues) est un trésor national au sens où dans le contexte hautement volatil et dangereux qui est le nôtre, il sera un déclencheur, porteur d’une voie tracée par d’autres mais incarnée par lui aujourd’hui.
Plus important que tout ce qui vient d'être écrit plus haut : au cours de cette émission Laurent Ruquier a eu la courtoisie d'évoquer les 1ères Assises de l’Eco-socialisme qui auront lieu le samedi 1er Décembre à Paris XII°, aux pelouses de Reuilly. 
  • Avec : Hervé Kempf, Susan George, René Ramirez (ex-Ministre de la planification et du développement d’Equateur), Michael Lowy, Jeanette Habel, Aurélien Bernier, Martine Billard, Arno Munster, Jacques Généreux, Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin, Corinne Morel-Darleux, Gabriel Amard, Myriam Martin...

> Lire le blog de Corinne Morel Darleux, auteur, et accessoirement bras-droit écologiste (avec d'autres) de M. Mélenchon. http://www.lespetitspoissontrouges.org/index.php?post/2012/11/13/La-raison-de-mon-silence

Michéa, la Servitude libérale
http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2007-09-06/jean-claude-michea-et-la-servitude-liberale/989/0/199481

jeudi 22 novembre 2012

"On sera vieux, nous aussi" de Katia Ponomareva



« Als das kind kind war… ». « Quand l’enfant enfant était… » écrivait avec sa plume arrachée l’un des deux anges que le temps fracasse, dans le film Les Ailes du désir

Il est des spectacles qui vous remémorent des tranches de vie et de poésie, des moments de scène qui vous traversent et vous laissent une trace bien après qu’on les a vus, comme ce « Nous serons vieux, nous aussi » de Katia Ponomareva. Ils s’impriment sans que l’on comprenne toujours pourquoi avec ce qui nous reste de cerveau. C’est donc bien avec ses tripes qu’il faut aller voir ce spectacle de l’Ensemble « A Nouveau », collectif artistique composé d’artistes venus du théâtre, de la danse ou de la musique, de France, de Russie et de Belgique. 
L’intention affichée est pour une fois respectée : une tentative théâtrale avec pour support la vidéo, la photographie et le mouvement, d’appréhender le sens de l’âge et celui de l’existence.

La jeune Ponomareva y réussit et s’adresse là à notre intime. Ici nulle pré-digestion de complaisance, on ne vous donne pas la becquée. Katia Ponomareva nous donne, non pas à voir ce spectacle de danse et de textes essentiels de Gilles Desnots, elle nous le donne à regarder.





À chacun d’entre nous la chorégraphe s’adresse avec une finesse qui oxygène, qui renouvelle l’air de nos vieilles cellules grises, et avec le plus intime, sans scories, sans ostentation, sans agressivité feinte ou inutile. Elle ôte le voile prude qui est posée sur la Vieillesse avec une tendresse qu’on avait peur d’avoir perdu.



Peut-être bien que notre société merdique et déshumanisée, c’en est un syptôme, ne sait plus quel regard porter sur la vieillesse et s’arrête encore au chiffre, à l’âge... Comme il est moqué et bousculé par notre temps cet aboutissement de « la vie qui se déroule ». Ce serait encore poli de dire que ses qualités ne sont plus primés par nos codes irréverencieux et formatés, où la jeunesse, la performance, le remplacement du vieux par le neuf s’érigent en modèle totalitaire, et nous angoissent à la fin (sans jeu de mots). Ce grand âge est médicalisé et donc oublié. Merci Katia Ponomareva de nous réconcilier avec ce sentiment d’exister au temps présent, irrespirable quelquefois, qu’on tient à distance trop souvent, et même à 103 ans passés comme le dit cette personne qui n’a plus d’âge, qui l’a dépassé, et se trouve embarrassée d’envisager la question.




On se surprend à détourner le regard, à osciller comme un pendule entre le sens à donner au temps qui fait notre existence, et à celui cruel de la montre qui fait notre âge. De l’un à l’autre, en tableaux construits et profonds, par de magnifiques témoignages audio-visuels et un rare, trop rare extrait du « Conte des contes » de Youri Norstein, dont il serait blasphème que d’en parler tant la beauté à couper le souffle de cette création visuelle russe des années 70, ce collectif nous emporte loin, très loin des clichés convenus. Sur scène, on n’a plus d’âge non plus, ce sont des figures humaines universelles qui tiennent la vedette. Et elles sont nombreuses. C’est nous. Elles nous regardent. On se voit à leur âge. Leur silence nous renvoie à notre aveuglement sur la chose.



Subtilement emmailloté par une bande-son magnifique mais discrète de Julien Fezans (les chuchotis évoquent le film de Wenders) comme un accord de fond avec la poésie du plateau.


Le tempo quasi-hypnotique que Ponomareva tient de main de maître nous plonge dans cet univers sonore et visuel et c’est aussi grâce à cette forme si bien tenue qu’on sort interpellé. C’est à mon avis l’une des grandes réussites de ce très beau spectacle tendance Off, hors-norme, à la scénographie et aux éclairages si professionnels (Ivan Mathis), qui aurait bien sa place parmi les In, des plus grands. Dans l’ombre Kantor n’est jamais très loin, tout du moins sa noirceur mais une élégance en plus peut-être, ou plutôt l’urgence féminine qui s’exprime tout au long d’un spectacle qui ouvre sur une citation de Pina Bausch : « Dansez, dansez, sinon il sera trop tard ».
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Dépêchez-vous, il reste encore des places.
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Vidéo sponsorisée



À Paris XI° jusqu’au vendredi 22 novembre 2012 à Confluences, 190 boulevard de Charonne 75020 PARIS. (Père-Lachaise, M° Philippe Auguste)
7, 13 et 15 €.
Resa 01 40 24 16 46 / mail : resa@confluences.net





Spectacle produit par L’Ensemble À Nouveau,

Auteur Gilles Desnots
Lumières Ivan Mathis
Son Julien Fezans
Costumes Anna Chyra et Sylvie Delalez
Administration Archipel Nouvelle Vague
Conception, mise en scène et scénographie Katia Ponomareva
avec Jacques Maury et Roberto Ruiz
Subventionné par le Conseil Général du Var, la DRAC PACA (aide à la production dramatique 2012), avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication – DGCA dans le cadre du dispositif de compagnonnage de Mabel Octobre, et le soutien en production du théâtre de la Méditerranée (Toulon) et du PôleJeunePublic - TPM - Le Revest (résidence de création)

vendredi 16 novembre 2012

Les contre-vérités éhontées de François Baroin

François Baroin sort un livre, et les medias sont sur le coup. Ruquier samedi dernier, France-Inter dès lundi matin, et Taddei mardi soir. Ouf ! On n'aura pas pu y échapper, quelle belle voix ! C'est tout le génie que je lui reconnais. Nous n'avons pas les mêmes valeurs, ceci est clair. Mais ce qui me distingue des gens comme lui, c'est que n'avons pas les mêmes sources.


Baroin, ce n'est plus de la droite, fut-elle Gaulliste, c'est du dextrisme : à plusieurs reprises, sa seigneurie nous déroule par le menu  (à la suite de nombreux prédécesseurs, experts, chroniqueurs qui nous servent cette bouillie comme une soupe populaire) la doxa monétariste ultra-libérale dans laquelle l'Europe s'est enfermée depuis plus de 40 ans (le consensus de Washington, la dématérialisation de l'argent, c'est 1971 avec Nixon  et son conseiller Milton Friedman).








C'est comme on le sait aujourd'hui, le refus des règles du jeu capitaliste qui a conduit à transformer des échecs industriels financiers en autorisations de continuer, impunément, en endettant la puissance publique (les Etats) et en absolvant le privé (les banques d'affaires). Toute l'attitude des pays capitalistes a donc été porteuse d'un signal d'irresponsabilité qui tranche assez merveilleusement avec tous ces discours appelant à pratiquer une économie "responsable", énoncé par tous ceux qui comme Baroin se font les défenseurs du néo-libéralisme financier...

Alors comment dès lors dissumuler leurs contradictions ? Vous l'allez voir : en travestissant la vérité.
Je me propose donc de revenir sur sa lecture de l'histoire, régalons-nous :


Voici en 50 mn un chef d'œuvre de langue techno-propagandiste, un condensé de toutes les contre-vérités politiques et économiques énoncées à longueur de JT depuis 30 ans.  


(Comme il le dit lui-même, François Baroin est journaliste de formation. Il faut dire qu'avec un DESS de Défense, un DESS de sciences de l'information et des bibliothèques de l'Institut supérieur de gestion (ISG Paris), et d'un DEA de Géopolitique, il avait de quoi faire carrière dans les médias.
Et s'il est un homme politique connaissant leurs rouages, leurs réseaux de connivences et leur fonctionnement, c'est bien François Baroin. Mais son éloge s'arrêtera là. J'ai découvert sur France 2 ce samedi soir dernier un personnage retors, habile et arrogant. J'ai pris aussi la mesure, tout comme Natacha Polony lors d'une de ses meilleures prestations (à 10' on l'applaudit), de ce qu'est un ancien ministre affecté par un bilan catastrophique. 

En termes de télé, c'est un bon client, il maîtrise les pitchs qui font vendre son livre, les histoires qu'il raconte, les anecdotes sont ciselées, ont été maintes fois répétées. Il est bon. Lorsque la télé l'interroge ou fait un sujet sur lui, il ressort toujours un bon vieux "spread", à glisser au détour d'une phrase pour impressionner ceux qu'il prend pour des illettrés, et cette émission n'a pas fait défaut à cette étrange manie. En fait de grand argentier, on a plus affaire à un fils de, un aristocrate d'Etat, qui fait de son incompétence un étal)

D'abord, on est effrayé avec Polony et Caron d'entendre la relation que Baroin nous fait des exigences de Merkel et Sarkozy sur Papandréou (12') : "Tu ne vas pas demander aux Grecs s'ils veulent oui ou non de l'argent que nous allons te prêter (de force donc) mais tu vas leur demander s'ils veulent rester dans la zone Euro (la question piège). Baroin nous explique que le dirigeant d'un pays n'est pas libre de poser la question qu'il veut à son pays et que, s'il voulait continuer de faire partie de la Zone Euro, c'était à leurs conditions. Autant dire que Papandréou a démissionné le revolver sur la tempe, comme Berlusconi l'a fait quelques semaines plus tard, vous ne l'avez pas oublié. 


On eut donc droit à près de minuit (l'heure des loups) à un véritable plaidoyer monétariste, où toutes les mesures de sauvetage des banques privées à coup d'argent public ont été justifiées par le souci de sauver l'économie.... Hélas faut-il vous faire l'injure d'une explication ? Quand on pense que même les américains du nord qui ont pourtant vu naître les théories de l'Ecole de Chicago se gardent bien d'appliquer leurs principes monétaires sur le plan intérieur (que les Européens les expérimentent !)


Mais par dessus tout, écoutez à telle minute M. Son Excellence le Ministre Baroin dire que "les USA ont laissé tomber les banques" ; ça vaut son pesant d'or. Je crois que si Baroin laisse une place dans  l'histoire ce sera d'être le seul homme occidental à croire (et à faire croire) à ce rôle-là des USA ans la crise dite des"subprimes". 


Vous entendez bien, il dit que les USA ont émis un signal inquiétant de faillites bancaires aux marchés (spéculatifs financiers). En l'occurrence, après la faillite de "Fanny Mae & Freddy Mac" les USA ont dès octobre 2008 recapitalisé à hauteur de 79% la plus grosse banque d'affaire en péril, et ont donné pour tout signal l'assurance qu'elles étaient trop grosses pour les laisser calancher, qu'elle tenaient en otage l'économie réelle de l'Amérique toute entière.

(lire à ce propos l'article de Fred Lordon : http://www.monde-diplomatique.fr/2008/10/LORDON/16354)

Et ils l'ont fait à telle enseigne qu'un sénateur américain, loin de la tranquillité Baroinienne, qualifiait même l'adminstration Bush de "socialisme financier non américain" ! 


Donc, le "mauvais signal" dont parle Baroin n'est pas celui de la menace de faillite bancaire, mais au contraire un signal d'irresponsabilité  qui a été donné : ne battez pas votre coulpe, on s'occupe de tout, et si vous perdez votre argent on vous en reprêtera, et à vil prix !



(pour mémoire Sarko avait prêté aux banques BNP et du Luxembourg à 0,7%, mais s'était bien gardé de prendre des parts publiques dans leurs actifs, quant à un contrôle 
de leurs Conseils d'administration, doux rêve !)

C'est ainsi que les dettes privées sont devenues un problème public. Nous sommes en 2012, chacun aura compris cela depuis un moment. Etrange lecture des événements que fait là un ex-Ministre des Finances ! Du point de vue de la DRH de Matignon, y a de quoi s'inquiéter.


En effet, une économie agit à l'intérieur d'institutions qui la régulent, qui la forgent, qui lui donnent un sens. La monnaie n'est que son instrument matériel, sans odeur, objectif. Alors écouter Baroin dire que le sauvetage de l'Euro est indispensable à la bonne santé de l'Europe devient proprement ridicule lorsque l'on sait, 4 ans après, les ravages en terme de santé, et pas seulement économique, que les recettes du bon docteur Baroin ont provoqués. Même les américains U.S se méfient des idéologues monétaristes ; sur ce chapitre Baroin a prouvé ou son indicible connerie, ou l'ampleur de la corruption de ses convictions.




Pour oser affirmer que l'on étrangle des peuples entiers pour la bonne santé de l'Europe, alors qu'il ne s'agit que de la bonne santé des prêteurs de la Finance, il faut être soit de mauvaise foi soit totalement corrompu. Ou alors, à reconnaitre que l'Europe, c'est la Finance....

Car enfin, nous sommes face à des gens sur-diplômés, aussi bien informés que vous et moi de la situation économique objective. Il apparaît comme peu problable que ces gens pensent réellement ce qu'ils disent. La seule solution qui s'offre à mon interrogation revient à soupçonner ces élites au pouvoir en Europe de corruption.


Car c’est justement le capitalisme monétariste de Hayek  qui a fait la dictature en Argentine, au Chili, en Russie. Souvenons-nous que Eltsine a fait bombarder le Parlement parce que celui-ci dans son droit constitutionnel, s’opposait au néo-libéralisme. La dictature européenne est, elle, bien en marche.


La suppression des libertés individuelles a eu lieu partout où le néolibéralisme s’est imposé, en cachette, dans le dos des populations à qui on a interdit le droit de se manifester. Le prétexte de la "science économique", indiscutable parce qu’ainsi décrétée, n’a pu se faire qu’avec la torture policière et militaire et la restriction des droits des individus. 


Les principes de "bon sens économique" n’existent pas, c’est affaire de choix politiques. Et quand, malgré les millions d'Euros corrompant les directeurs de pressee pour qu’ils indiquent au bon peuple pour Qui, ou Quoi voter, le peuple n'obéit pas, alors on contourne la démocratie. L’exemple le plus frappant chez nous est le référendum de 2005. Voilà à quoi mène le capitalisme que Baroin nous propose sous son visage d'ange.


Pour terminer, ce à quoi je vous invite à être attentif au-delà de ces artifices pernicieux de raisonnement, c'est que nous avons eu ce soir-là entendu quelques éléments de langage que la droite a décidé d'employer dans les anénes à venir : 

  • juxtaposer artificiellement Economie et Monnaie, avenir et libéralisme, modernité et rigueur. La Gauche, elle, est taxée d'immobilisme, de conservatisme, d'archaïsme dès qu'il s'agit d'un projet venu de la gauche de la social-démocratie Hollandienne. 

Ce renversement des représentations est à l'œuvre chez Baroin comme chez Copé et Fillon qui font semblant de ne pas s'entendre.Nous le savons, pour cet idéologue mal averti la gauche obtient le pouvoir "par effraction", c'est dire l'esprit borné auquel nous avons affaire.


Heureusement qu'il y a la droite française pour faire aimer la gauche, et Baroin en est l'un de ses plus fameux camelots !


voir : La Dette, un documentaire de Sophie Mitrani et Nicolas Übelmann http://www.youtube.com/watch?v=VIATbS8jumU

samedi 10 novembre 2012

Traviata et nous (tous)

Le documentaire musical est un genre exigeant où la part de l’authenticité des protagonistes, dès lors qu’il se savent filmés, est toujours difficile à obtenir. C’est ce que réussit à merveille «Traviata et nous» de Philippe Béziat. Ce documentaire est plus que ce qu'il prétend être, qui suit de façon non-chronologique l’élaboration d'un spectacle lyrique archi-remâché, présenté à Aix-en-Provence en juillet 2011 et retransmis sur Arte en direct.



Les choix artistiques sont ténus, pas d’interview, que du témoignage visuel, place aux corps et à l’image. L’opéra, c’est physique, c’est charnel, la transcendance se voit et s’entend. Au novice qui découvrira ainsi qu’au connaisseur des arts de la scène, il plaira de voir la patiente progression du travail, du décorateur aux assistants à la mise-en-scène. L’accent est porté sur les dialogues entre le metteur en scène Jean-François Sivadier, ici saisi dans ses interrogations plutôt que ses certitudes, et l'interprète Natalie Dessay, tous deux accoucheurs de cette Violetta si incarnée, souvent au bord des larmes. Au bord seulement, et c’est toute la différence entre une grande artiste et un bonne professionnelle.

Philippe Béziat et son monteur s’affranchissent des linéarités du genre, des juxtapositions convenues, de la chronologie des scènes. Tout cela est revisité au profit des allers-et-retours, des projections, des brouillons que tout artiste opère dans son esprit et qui à un moment prend une vie, éphémère, en public, sur le plateau.

Le documentaire -au premier degré- rend hommage à cette fantastique actrice lyrique qu’est “la” Dessay. On ne le dira jamais assez, mais la plus petite voix du monde qui s’est révélée une des plus grandes, utilise toutes les ressources émotionnelles et intellectuelles possibles pour mener à bien son interprétation de Violetta et accepte de composer entre ce qu’elle sait devoir faire, et les desiderati du metteur en scène, de l’éclairagiste, du costumier.
Et c’est là le second niveau du film- où apparaît un hommage à tous les corps de métier qui participent à l’élaboration du spectacle, mais aussi indirectement rend grâce au talent-même des équipes à l’œuvre ; ici Natalie Dessay est mise en lumière d’une façon inédite, peut-être grâce au temps passé par le cinéaste à se faire oublier, et nonobstant les nombreux portraits qui lui ont déjà été consacrés. Le public n’a de vision de l’artisanat de l’art que très partielle, et ce film rend justice à l’extraordinaire mise en œuvre du talent, de cette conjugaison des qualités des êtres par un processus éminemment collectif.

Sur un plan formel, ce work-in-progress bien mis en image surmonte, par l’intérêt du sujet, la fadeur des lumières de répétitions. Vient le temps du travail sur la scène du festival d’Aix-en-Provence, ici de toute beauté, les lumières de la Provence se reflètent dans les yeux des chanteurs, avec le bruit des oiseaux de l’Archevêché pour tout accompagnement musical. Alors le film décolle, en évitant les classiques écueils comme la chronologie ou l’illustration. Le montage se permet des sorties, des séquences sonores où l’opéra de Verdi est librement butiné par Philippe Béziat ; et ça marche.

Mieux, ce «Traviata et nous» devient une ode à un aspect concret qui échappe souvent à ceux qui restent extérieur au monde du spectacle, mais qui saisit toujours l’heureux observateur de ces choses : La concentration. 

On voit au travers le travail des costumiers, des régisseurs appuyant leurs panneaux comme les marins leur voiles par vent d'alizés, au travers la minutie du chef Louis Langrée et des choristes dont on voit jusqu’au mouvement des lèvres, au travers le regard synchrone du violoniste qui dose un mouvement d’archet microscopique, au travers l’attention permanente de la collaboratrice à la mise en scène, Véronique Timsit, courbée sur son pupitre, au travers le regard imaginatif et virevoltant de Jean-François Sivadier, fin connaisseur de son affaire mais souvent pris dans des moments de recherche (bravo pour son abnégation), l’on voit bien, dis-je, que cette concentration n’est pas une posture. Elle est cette belle et entière implication de l’être humain dévolu à son travail, dévolu à l’œuvre, dévolu au respect du public et à lui-même. C’est ce qui permet à la création d’advenir, car il faut être digne de servir un chef d’œuvre qui traverse l’histoire. Voici l’être humain dans ce qu’il a, selon moi, de plus beau : concentration, convergence, toute l’intelligence collective au service de la beauté

C’est aussi l’occasion d’apercevoir avec bonheur le travail du très grand baryton-verdi et pourtant très discret Ludovic Tézier. Ici, pour son premier Germont, il offre une facette authentique de sa façon de travailler, nette, sûre, réfléchie, toujours reliée aux autres artistes, aux techniciens du plateau et à la fosse d’orchestre en même temps. Sa façon calme d’être “ensemble”, sa vocalité et sa musicalité, exceptionnelles il va sans dire, servent le personnage à venir par une réflexion en action. Quelle aura et quelle présence que cet artiste-là ! À ce titre, «Traviata entre nous» aura une qualité d’archive et deviendra sûrement une référence ; car nous avons la chance de connaître en France deux des plus beaux artistes lyriques contemporains de ces cinquante dernières années, Dessay et Tézier. Imaginez un peu, c’est comme si nous avions des répétitions de Renata Tebaldi et Piero Cappuccilli en dialogue avec Strehler...

On ne peut que regretter que le choix des interventions de Jean-François Sivadier, qui pour être touchantes souvent et drôles même, le place dans une position trompeuse de metteur en scène essayiste, alors qu’il s’agit d’un homme de théâtre qui connaît la partition par cœur et en italien... Cela ne rend pas justice à son vrai talent. C’est le seul bémol, ainsi que dans l’économie du montage une part inégale accordée à Violleta-Dessay, ultime concession au marketing, au détriment du bel Alfredo de Castronovo et du Germont de Tézier. Bref, on en redemande alors que le format est déjà généreux.

La qualité de travail et l’expérience de plateau de Natalie Dessay et de Ludovic Tézier confirment que chacun à leur manière, les artistes s’accomplissent dans l’écoute et non dans l’autisme de leur gloriole, dans l’interrogation et non dans la mise en avant de leurs savoirs-faire, dans le collectif et non dans la prétention, glorifiée par le star-system. Là où le film se distingue, c’est qu’il ne fait pas l’apologie mystique ou promotionnelle d’un talent hors du commun, comme ces nombreux portraits qui dévoient souvent le documentaire en projet publicitaire au profit des maisons de disques ou d’un seul artiste. Il fait la démonstration en creux que ce sont bien des artistes à l’œuvre, humains, fragiles et beaux. 

Cette séquence pleine d’humour et tendre à la fois, où l’on voit la môme Dessay tenter de faire et refaire son geste, dix fois, vingt fois, pour trouver le tempo juste, le bon angle de chute, le bon moment sur le geste du chef, restera comme un des plus beaux plaidoyers en image sur le travail de l’acteur (lyrique) en scène.

Métaphore de la chute inévitable des artistes qui, lorsqu’ils ne sont pas jetables et réussissent à s’imposer pour exister, finissent un jour dans l’oubli, comme le funambule dont la corde casse et qui trouve le gouffre sous ses pieds.



Mention spéciale au producteur du film Philippe Martin (Pelléas films, Pelléas et Mélisande, Le chant des aveugles, Noces Stravinsky/Ramuz) parti de rien dans cette aventure. Documentaire engagé au 50ème festival film de New-York

Interview de N. Dessay