« Als das kind kind war… ». « Quand l’enfant enfant était… » écrivait avec sa plume arrachée l’un des deux anges que le temps fracasse, dans le film Les Ailes du désir.
Il est des spectacles qui vous remémorent des tranches de vie et de poésie, des moments de scène qui vous traversent et vous laissent une trace bien après qu’on les a vus, comme ce « Nous serons vieux, nous aussi » de Katia Ponomareva. Ils s’impriment sans que l’on comprenne toujours pourquoi avec ce qui nous reste de cerveau. C’est donc bien avec ses tripes qu’il faut aller voir ce spectacle de l’Ensemble « A Nouveau », collectif artistique composé d’artistes venus du théâtre, de la danse ou de la musique, de France, de Russie et de Belgique.
L’intention affichée est pour une fois respectée : une tentative théâtrale avec pour support la vidéo, la photographie et le mouvement, d’appréhender le sens de l’âge et celui de l’existence.
La jeune Ponomareva y réussit et s’adresse là à notre intime. Ici nulle pré-digestion de complaisance, on ne vous donne pas la becquée. Katia Ponomareva nous donne, non pas à voir ce spectacle de danse et de textes essentiels de Gilles Desnots, elle nous le donne à regarder.
À chacun d’entre nous la chorégraphe s’adresse avec une finesse qui
oxygène, qui renouvelle l’air de nos vieilles cellules grises, et avec
le plus intime, sans scories, sans ostentation, sans agressivité feinte
ou inutile. Elle ôte le voile prude qui est posée sur la Vieillesse avec
une tendresse qu’on avait peur d’avoir perdu.
Peut-être bien que notre société merdique et déshumanisée, c’en est
un syptôme, ne sait plus quel regard porter sur la vieillesse et
s’arrête encore au chiffre, à l’âge... Comme il est moqué et bousculé
par notre temps cet aboutissement de « la vie qui se déroule ».
Ce serait encore poli de dire que ses qualités ne sont plus primés par
nos codes irréverencieux et formatés, où la jeunesse, la performance, le
remplacement du vieux par le neuf s’érigent en modèle totalitaire, et
nous angoissent à la fin (sans jeu de mots). Ce grand âge est médicalisé et donc oublié. Merci
Katia Ponomareva de nous réconcilier avec ce sentiment d’exister au
temps présent, irrespirable quelquefois, qu’on tient à distance trop
souvent, et même à 103 ans passés comme le dit cette personne qui n’a
plus d’âge, qui l’a dépassé, et se trouve embarrassée d’envisager la
question.
On se surprend à détourner le regard, à osciller comme un pendule
entre le sens à donner au temps qui fait notre existence, et à celui
cruel de la montre qui fait notre âge. De l’un à l’autre, en tableaux
construits et profonds, par de magnifiques témoignages audio-visuels et
un rare, trop rare extrait du « Conte des contes » de Youri Norstein,
dont il serait blasphème que d’en parler tant la beauté à couper le
souffle de cette création visuelle russe des années 70, ce collectif
nous emporte loin, très loin des clichés convenus. Sur scène, on n’a
plus d’âge non plus, ce sont des figures humaines universelles qui
tiennent la vedette. Et elles sont nombreuses. C’est nous. Elles nous
regardent. On se voit à leur âge. Leur silence nous renvoie à notre
aveuglement sur la chose.
Subtilement emmailloté par une bande-son magnifique mais discrète de
Julien Fezans (les chuchotis évoquent le film de Wenders) comme un
accord de fond avec la poésie du plateau.
Le tempo quasi-hypnotique que Ponomareva tient de
main de maître nous plonge dans cet univers sonore et visuel et c’est
aussi grâce à cette forme si bien tenue qu’on sort interpellé. C’est à
mon avis l’une des grandes réussites de ce très beau spectacle tendance
Off, hors-norme, à la scénographie et aux éclairages si professionnels
(Ivan Mathis), qui aurait bien sa place parmi les In, des plus grands.
Dans l’ombre Kantor
n’est jamais très loin, tout du moins sa noirceur mais une élégance en
plus peut-être, ou plutôt l’urgence féminine qui s’exprime tout au long
d’un spectacle qui ouvre sur une citation de Pina Bausch : « Dansez, dansez, sinon il sera trop tard ».
___________________________________Dépêchez-vous, il reste encore des places.
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7, 13 et 15 €.
Resa 01 40 24 16 46 / mail : resa@confluences.net
Spectacle produit par L’Ensemble À Nouveau,
Auteur Gilles Desnots
Lumières Ivan Mathis
Son Julien Fezans
Costumes Anna Chyra et Sylvie Delalez
Administration Archipel Nouvelle Vague
Conception, mise en scène et scénographie Katia Ponomareva
avec Jacques Maury et Roberto Ruiz
Subventionné par le Conseil Général du Var, la DRAC PACA (aide à la production dramatique 2012), avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication – DGCA dans le cadre du dispositif de compagnonnage de Mabel Octobre, et le soutien en production du théâtre de la Méditerranée (Toulon) et du PôleJeunePublic - TPM - Le Revest (résidence de création)
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