mercredi 24 avril 2013

Enfin le Printemps !

Christiane Taubira, Ministre de la Justice, porteuse du projet de la loi dite du Mariage pour tous

Tu parles d'un Printemps ! À peine les premières gueules-de-loup étaient-elles écloses que par centaines de milliers des familles montaient vers la capitale donner à la France son visage le plus mufle et le plus régressif (on appelle aussi ces fleurs des mufliers...).
Au nom d'un certain ordre moral, établi pour une grande part au Vatican, il aurait fallu que les progrès sociétaux acquis dans d'autres pays n'eussent pas lieu en France. Ouf !

Voilà qui aurait eu de quoi démystifier une bonne fois ce pays, encore auréolé de "Pays des Droits de l'Homme".


Pierre et Gilles, le martyr de Saint Sébastien


Très comme il faut, combien de dames chaussées et de messieurs cravatés sont venus nous expliquer pacifiquement que la possibilité administrative donnée à un couple de même sexe de se marier et donc d'adopter était primo contre-nature (mais la nature légifère-t-elle ?) et secondo de nature à faire trembler sur ses fondements chrétiens notre contrat social ?

Or, l'adoption est un des actes les plus beaux, car le plus désintéressé qui soit ; plus fondé et souvent plus motivé à se réaliser que l'ordinaire parentalité du fruit des corps. A-t-on parlé des enfants abandonnés dans ce débat d'outre-tombe et mortifère sur les conséquences d'un droit positif supplémentaire ? Je n'ai pas lu une ligne. 

On ne peut dénier à  la droite une certaine cohérence  : autrefois contre le divorce, puis contre la reconnaissance des enfants dits « adultérins », même contre la pilule, surtout contre l'IVG, et naguère contre le PACS. Aujourd'hui elle est contre le mariage pour tous. Dans cinq ou dix ans, elle dira, une fois de plus, Ah.. on s'est trompés, finalement, il n'y a pas de problème. Comme à chaque fois, le droite lutte pour de faux sujets ou des sujets de diversion. Et il y a sujet à planquer sous le tapis les affaires en cours, Woerth, Sarkozy, Lagarde... la droite aussi est servie.

Comme j'aimerais voir la droite et la gauche ensemble dans la rue le 5 mai 2013, demander la convocation d'une Constituante. Mais fi ! Ils reviendront le même jour, hors-sujet, braqués sur leurs antiennes obsolètes et non avenues.

Bien sûr, d'aucuns, des plus libéraux, redoutent une situation à la Elton John. Que des femmes puissent se prêter à la marchandisation de leur ventre a lieu d'effrayer touts les humanistes, et j'en suis. Mais tous n'ont pas fait montre d'autant de nuance dans leurs positions.

Il est même pour m'expliquer qu'il y a un danger à l'adoption d'enfants par un couple homosexuel "ce qui'ls veulent, c'est de la viande frâiche..." ai-je entendu de la bouche d'un habitué des homélies en latin de St Nicolas du Chardonnay. Le même se disant effondré par les affaires de pédophilie de ... son Eglise ! Quiad balayam davantum sus portis...

Que n'avons-nous entendu ? Trente-deux ans après l'abrogation de la pénalisation de l'homosexualité, il subsiste une part non négligeable de citoyens, catholiques, de droite et assez âgés, sinon assez séniles pour confondre criminalité et sexualité. Bonjour jeunesse.

Mais le plus déprimant encore, pour nous autre gens de gauche philosophiquement libéraux (car cette loi du 23 avril 2013 est d'inspiration libérale...)  c'est de voir des factions de jeunes néo-fascisants, à peine sortis des bacs-à-sable de Neuilly, venir porter le fer contre la Police devant l'Assemblée le soir de l'adoption législative. Que n'aurait-on dit de syndicalistes ou de sympathisants de gauche s'ils s'étaient comportés ainsi au soir de l'adoption du texte portant Réforme des retraites, sous Nicolas Sarkozy ?

Mais autant pour moi, j'avais sous-estimé la trop longue contention de leurs frustrations fascistoïdes, et leur colère de se voir emmenés sur le pavé par la froide égérie des grands soirs mondains, cocaïnée et somme toute dépassée, en plus d'être improductive. Comme on les comprend.

Ce que l'on comprend moins c'est que, pour autant parler d'adoption, l'enfance abandonnée a été largement absente des débats et des magazines. Cela fait partie des sujets les moins sexy et sûrement les moins vendeurs de notre temps. L'enfance qui souffre, c'est pas du Pierre et Gilles. Qui montre les dizaines de milliers enfants massacrés en Irak, ou à Alep sous des munitions envoyées, entre autres, par la France ?


Syrie 2013

Il y a plus que des lois qui ont besoin d'être doptées, il y a des enfants qui attendent, assoifés d'affection. Et si j'avais été député j'aurais voté pour à ce projet de loi ne serait-ce que pour ce seul aspect. 

Or, ces défenseurs d'un monde jugulé par les préceptes des barbus, si pleins d'amour pour leur prochain, ont-ils eu une pensée, un mot pour ces milliers d'enfants français (comme ils disent) qui croupissent à la DDASS ? Que ceux-là demain trouvent une famille d'accueil dans une famille aimante, quel progrès, quel sauvetage ! Savent-ils seulement ce que deviennent ces enfants sans amour ? Pour les unes c'est le trottoir, pour les autres, les barreaux, hélas, et pour tous les plaies à vie... Cela n'a pas l'air d'émouvoir la grenouille de bénitier et son bourgeois. D'ailleurs parmi ceux qui brandissent leur drapeau chouan ou ces hors-la-loi qui prient dans rue, n'y en a-t-il aucun qui soit trop respectable pour avoir délaissé un enfant après engrossé sa mère ? Personne bien sûr...


Prière de rue en France en 2013



C'est au défilé des hypocrites qu'il faut ironiquement applaudir et se réjouir que la loi du mariage pour tous soit adoptée. On en a pris la mesure, il y a un plan de redressement éducatif à adopter, une véritable rééducation socialiste qui combatte pied-à-pied ces obscurantismes encore féconds.


Pour info, ONED : Observatoire National de l'Enfance en Danger.

Rapport sur la situation des pupilles de l'Etat au 31 décembre 2011.









mercredi 10 avril 2013

Perdre sa vie à la gagner



L'air que nous respirons est chargé, d'interrogations, d'incertitude.  Fabienne Swatly dans Gagner sa vie décrit le monde qui a basculé sous les Reagan et Thatcher, les années 80, sous forme de journal intime littéraire. Il touche d'abord à l'individu, en le glorifiant pour mieux l'écraser. Comment se construit la révolte de la narratrice, par connaissance de la théorie ? Par la lecture de Marx et Engels ? Même pas. Par la vie comme elle est.

Les terrains de friche seraient les miens : cité du nord, pérégrinations au gré du marché du travail (quel terme ! nous rendons-nous bien compte de ce que nous disons ?). Elle verra que ceux qui prêtent leur temps en actions solidaires ou altruistes ne sont pas souvent payés de retour ; à l'usine, où l'on travaille sous les ordres, là où le temps de son corps est donné à la production, on est réglé par un chèque, et pas par la reconnaissance. 



Ainsi, comme par un fait exprès, le livre de Fabienne Swatly de 2006 fait écho à celui de Samira Sedira de 2013, que je viens de refermer. "Gagner sa vie" versus "L'Odeur des planches". Et tous deux sortent gagnants.
Là aussi nous assistons à un parcours de vie dont l'auteur n'a retenu que ce qu'il y a de meilleur, biographie de ce qui est subi, écrite  tout de même, avec tendresse toujours, de façon touchante souvent, au point qu'on aurait envie de prendre toutes les serveuses, toutes les ouvrières du récit dans les bras. Toutes ces femmes qui gagnent petit, qui gagnent dur. L'écriture de Fabienne Swatly rend amoureux alors qu'elle s'ingénie "trouver les mots qui mettent en colère".


  • "...c'est quoi comme travail, directeur de prison ?"

Le récit nous fait entrer par chapitres dans le monde associatif, commercial, industriel, carcéral. Tout sert en effet à une femme de 40 ans aujourd'hui qui a vécu cinq fois ce que vivaient les femmes du XVIII° siècle. 

La vie de ceux qui n'ont pas de spécialité est horizontale, riche s'ils ont la jeunesse et la santé pour eux, vide s'ils ne l'ont pas. 

L'usine ou Pôle emploi prend aux gens ce qu'aucun salaire ne saurait compenser, le temps du corps. Chair dont le thème traverse le texte de part en part, corps souffrant au travail, corps postés, corps blessés, corps enfermés. Ces corps dont parlait Michel Serres dans cet épisode la Légende des Sciences, comparant les peintres au tournant de la révolution industrielle. La vision du corps est idéalisée aujourd'hui que l'on est passé des âges de la Formation à celui de la Transformation puis à celui de l'Information. 



On aurait donc tendance à oublier ce que F. Swatly nous rappelle ici avec une douce force : tout n'a pas la subtilité de l'octet. Il y a une volonté de dissimulation, le corps est encore le lieu de la souffrance, les bêtes de somme sont toujours là, et pas qu'elles car il y a bien au moment où nous lisons ces lignes des enfants de 5 ans que l'on glisse par les tuyères des méthaniers pour qu'ils en décrassent les hydro-carbures -à six ans ils sont trop gros- au mépris de leur santé respiratoire, sinon de leur enfance tout entière. Roulons, roulons, c'est aussi au prix de l'asservissement d'autres humains et voilà que le piège se referme sur nous. C'est dire si le prix du litre est bien au-delà de ce qu'il paraît. 

Voilà comme on peut lire le roman de Fabienne Swatly "Gagner sa vie" ou perdre sa vie à la gagner. L'économie du roman va crescendo, avec une rigueur discrète qui nous emmène du particulier à l'idéal, du quotidien au manifeste, comme si la narratrice se révoltait au fur et à mesure que le texte avance. C'est à mes yeux la réussite de ce texte. 

Enfin, il faut saluer le beau travail d'édition et d'impression de La fosse aux ours, éditeur rhodanien qui privilégie la découverte de nouveaux talents.

"Gagner sa vie", de Fabienne Swatly
(Coup de talent FNAC, prix Léo Ferré), éd. La fosse aux ours.