lundi 2 mai 2011

de la Gaîté Lyrique à la tristesse numérique






C’est annoncé partout dans Paris, la Gaîté Lyrique réouvre ses portes.
La déception sera donc au niveau de l’attente.

Plein d'espoir et de joie on entre dans cet espace dédié aux Arts numériques par l’escalier d’honneur de cet ancien temple de l’Art lyrique et des spectacles mélodramatiques d’antan. Ceux-ci faisaient le bonheur des bourgeois fin de siècle. Celui-là fera le bonheur des bo-bos début XXI°.

Ici Offenbach tendait un miroir pas toujours très glorieux à ses contemporains, Boïeldieu y faisait tonner des ténors français de la plus belle façon, la Malibran y était acclammée et Geoges Thill adulé. Rien aujourd’hui n’évoque plus l’historicité du lieu. À part la conservation du foyer, rien n’évoque plus le théâtre où Halévy et d’autres donnait ses premières.

On doit à la casse menée sous Chirac d’avoir détruit cet endroit. Mais on doit à l'architecte Manuelle Gautrand l'oubli définitif des origines, cet effacement volontaire. Elle qui déclare, modeste, écoutez bien :
  • « On peut résumer ce lieu en disant que c’est une magnifique boîte à outil. L’ensemble du bâtiment est interactif, ce qui permet aux artistes de s’approprier tous les espaces, y compris les espaces de circulation. C’est un corps dans lequel ils peuvent s’installer d’un bout à l’autre, d’une manière interactive. ».
Alors, si je suis un artiste, je peux donc aller “m’approprier” un espace, qui “intéragira” avec moi ?...Mais qu’est-ce que c’est que ce sabir fumeux, vide, un brin auto-satisfait ? 

Ô baratin... ça justifie d’être payé combien ? Emmanuelle, on a payé ce lieu avec nos augmentations d'impôts locaux et tu te fous de nous ?

La fameuse Gaîté du spectacle vivant a laissé place à la tristesse blanche “hospitalière” d’un lieu d’images et de solitude. La Gaîté a laissé place à la tristesse ; le lyrique au numérique. C’est le progrès. Plus rien ne rappelle à part le foyer conservé, qu’autrefois un théâtre s’élevait ici. Ni dans la forme ni sur le fond.

N’étaient les deux gosses encore en vacances venus défouler leurs petites pattes dégourdies sur les magnifiques écrans HD (Philips, le mécène) où l’on peut jouer (on ne vient pas pour rien) pas grand monde par ici une fois l’ouverture passée. En mars 2011, deux semaines de folles nuits -ça on sait faire- electro-transe-dance-acid-house et tout ce qui peut se faire de pire en matière de bruit. Les folles nuits à venir laisseront place à un désert culturel branchouille mal indiqué qui caractérise l’endroit. Tout y l’air moderne. L’air, pas forcément la chanson. On aurait pu au moins nous inviter Jean-Michel Jarre mais pour ces spécialistes, c’est du niveau de Franck Michael au hit-parade des mamies.

La néo sous-culture du jeu vidéo, adossée au développement de l’informatique personnelle, s’adresse à chacun. Vous me direz que l’art lyrique s’adressait aussi à une élite sociale et intellectuelle, mais passé ce stade, cet art vivant s’adressait à un collectif dans une communauté d’émotion. L’écran lui, impose à l’individu. Et voilà l’évolution de ces cinquante dernières années : du vivant au recomposé.

À voir ces écrans partout, je ne peux m’empêcher de penser à cette ironie : le théâtre lyrique, l’opérette et le théâtre dramatique ont été concurrencés par l’avènement du cinéma parlant ; puis l’informatique individuelle, la vidéo et l’internet ont relégué chacun chez soi, fermant au passage les salles de cinéma indépendantes ; le jeu vidéo enfin a concurrencé le cinéma au point que celui-ci s’en inspire ou joue avec ses codes. Et c’est dans un lieu dévolu autrefois au spectacle vivant que s’imposent ses écrans. La boucle est bouclée, ça donne une bonne image des dernières évolutions de notre société nucléarisée
Mais en définitive, c’est ce genre de lieu qui est ringard, il est jetable, et à la vitesse du numérique. Tellement que c’en est drôle. Il surfe sur le fantasme des années 80, où l’ordinateur et le jeu vidéo auraient été des attractions. Mais aujourd’hui... C’est quoi cette gaîté lyrique, sinon un prétexte de plus à mettre sur le marché de l’art les œuvres des copains londoniens. Ça se veut high-tech, mais ça expose ce que tout un chacun a chez soi en deux exemplaires, c’est d’un banal. Tout le monde s’en fout. La “révolution numérique” aura cassé le Concorde, le train, accéléré les cadences dans les entreprises et redoublé le stress. Tout ici le rappelle. Mission accomplie.

Il reste que ce lieu -dévisagé, on ne peut pas plaire à tout le monde- ressemble à la politique culturelle parisienne. La politique culturelle parisienne qui confirme sa réputation de super bo-bo : Des dépenses somptuaires pour des endroits branchés (au plein sens du terme si l’on en croit le nombre d’écrans plats qui servent de décorum) des endroits vastes mais vides, des lieux qui hument le néon froid, des endroits qui ne s’adressent à personne. Et, comme au “104” des zones symptomatiques de la fréquentation des  lieux de culture, et des grandes salles de théâtre vides.

C’est pas populaire et c’est pas chaleureux, voilà.

À l’imitation des hyper-riches qui ont besoin d’espace vital, cette élite, qui œuvre pour une mairie $ocialiste, glorifie la rareté par l’espace, un luxe de vides dans une ville où les loyers étranglent le citadin. Quelle ironie encore une fois.
Maintenant les difficultés commencent : comment gérer un tel budget de 8 millions d’euros, avec l’obligation d’assurer 45% de son financement et donc comment attirer le chaland d’une façon attractive vers un tel lieu culturel ?

Mais n’y avait-il pas un autre projet à soutenir ? Le numérique, omni-présent, est-il menacé ? Doucement ! Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain de cette «Scène des révolutions numériques» et laissons peut-être à la Direction le soin d’évoluer, d’assouplir une programmation hyper-select spécial initiés.

Une alternative

Il est bien sûr facile de critiquer. Mais qu’aurais-je fait moi-même ?
Voilà : si on m’avait nommé à la direction de ce projet, avec 9500 m2 et 8 Millions d’€ de budget, j’aurais proposé un Centre des arts lyriques pour les compositeurs vivants (lieu qui n’existe pas), qui eût été à la fois lieu d’école pour les chefs d’orchestres lyriques (qui n’existe pas), pour l’exposition des scénographes (qui n’existe pas), un lieu d’auditions pour les voix de ce pays qui trouvent si mal à se produire (qui n’existe pas), un lieu dédié aussi à la mise-en-scène d’opéra et de comédie musicale (qui n’existe pas non plus), un “espace” dédié à notre patrimoine lyrico-linguistique qui a tant besoin de vivre. Un centre dédié aux ressources musicographiques enfin (la Bibilothèque musicale des Halles aurait été désincarcérée de sa gangue de béton en sous-sol, la Gaîté aurait été le lieu rêvé) en plus d’un lieu ouvert gratuit d’auditions pour les musiciens, acteurs et chanteurs. J’en aurais fait un lieu en résonance avec son histoire et avec une utilité socio-professionnelle et culturelle. Et là, je la remplissais votre salle-de bains !

Sinon, avec ses 85 millions d’euros on aurait fait vivre un opéra -comme Rennes qu’on a fermé- pendant 60 ans. Mais il paraît qu’il n’y a pas d’argent...

Cette drôle de Gaîté ressemblera donc au reste des opérations commencées sous Chirac et continuées sous l’ère de ce cher M. Delanöe : triste, jetable, et très cher justement.
Blanc et beau comme une salle-de-bain et, ce qui devient une locution parisienne, vide comme un “104” (110 millions d’Euros).


En visitant ce lieu, j'ai été interrogé par Le Parisien. Voilà ce que j'ai dit dans l'édition du 3 mai 2011 (cliquez pour agrandir) :



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