mercredi 7 janvier 2015

Lettre au Prof principal du collège de ma fille de 14 ans qui revient d'Allemagne

Lettre au Prof principal du collège de ma fille de 14 ans qui revient d'Allemagne, et qui a passé ses vacances entières à faire des devoirs pendant que ses profs étaient au ski ! 


Paris, le 7 janvier 2014


            Chère Madame la Professeure,


J’espère que vous avez pu mettre à profit le temps de repos qu’offrent les vacances de Noël, vu l’importance de la tâche qui vous attend tout au long de l’année auprès de nos enfants. Aussi, laissez-moi vous souhaiter une bonne rentrée, et que vos classes vous donnent satisfaction d’ici le mois de juin prochain.

C’est précisément de ce temps que j’aimerais vous parler. Je ne fais pas partie de ces parents d’élèves contestataires par essence ; je n’ai jamais écrit au Collège où ma fille étudie, car je crois qu’elle y réussit et qu’elle s’y sent bien.

Je le fais aujourd’hui, car c’est la première fois que je vois notre enfant ployer sous la charge des devoirs pris sur le temps de la nécessaire récupération des vacances. J’espère que, de leur côté, Mesdames et Messieurs les Professeurs qui ont cette pensée pour la réussite de nos enfants, auront pris toutes les dispositions de santé physique et respiratoire que les essences de pin, au long des pentes enneigées, procurent à cette période. Ici, c’est la toute première fois que j’entends des propos d’exaspération dans la bouche de notre enfant. Ce Noël 2014, notre fille donnait l’impression de préparer hypokhâgne en 3ème.

Or, Jasmine ne me semble pas l’élève la plus mal placée pour se plaindre, si j’en juge par les félicitations au bas de ses bulletins qu’elle recueille chaque trimestre depuis le cours primaire. Au contraire, sa vivacité et sa constance au travail plaident pour qu’elle soit entendue.

Mais replaçons les éléments dans leur contexte : la première semaine de décembre, en début de second trimestre, une semaine obligatoire de stage en entreprise ; puis les deux semaines suivantes, un échange obligatoire dans un collège près de Düsseldorf pour les germanistes. S’ensuit pour les deux semaines de vacances de Noël un agenda impressionnant de semaines de cours à rattraper, plus des exercices, des fiches de lecture, de l’art plastique, des devoirs à faire, activités intellectuelles de l’intérieur. Il est même heureux que le professeur d’EPS n’ait pas préconisé cinquante pompes tous les matins. Je lui en sais gré. Les parents aussi aimeraient voir leurs enfants en vacances, faire autre chose, s’enrichir autrement que par le travail scolaire. C’est possible. Prendre l’air, observer la nature. Que s’évapore toute cette transpiration.

Je comprends la motivation de l’équipe pédagogique de mener cette classe au meilleur niveau ; mais je ne voudrais pas lui faire injure en rappelant ce principe sain : la qualité de l’activité dépend aussi de la qualité du repos.

Or, justement, il devient alarmant, je le martèle, de voir des adolescents en pleine croissance, au cœur de l’hiver, après sept heures de cours, s’endormir sur leurs devoirs à 23 h 30 pour les plus sveltes, et 02 h 00 du matin pour les plus perplexes. Je ne suis pas médecin, mais je considère comme parent qu’il est inadmissible pour leur santé qu’ils ne puissent dormir plus de six heures par nuit à cet âge-là. Notre fille nous confie qu’elle fait souvent des efforts lors de contrôles placés à 08 h 30 pour garder les yeux ouverts, et que cet état de fatigue est communément partagé dans la classe. Cela devrait regarder sinon les professeurs, du moins la médecine scolaire.

Quant aux stage en entreprise et échange européen, faut-il rappeler au collège des Professeurs que ce sont des temps scolaires ? Il ne s’agit pas pour les enfants d’être pénalisés pour un temps supplémentaire qui leur est imposé. Mais peut-être l’obsession de l’exhaustivité du programme dégrade-t-elle sûrement la qualité de vie générale ; ne trouvez-vous pas ?

Non que je vous sache de mauvaise volonté, Mesdames et Messieurs les Professeurs, ou inconscients de ces phénomènes, car les professionnels de l’éducation, c’est vous. Mais nous parents en sommes d’autres. Et je crois comprendre qu’il existe une anxiété de fond partagée par les enseignants, et par l’entier corps social par ailleurs, de nature compensatoire (on leur donne du travail, puisque la société ne leur en donnera pas…) redoublée d’une attente imaginaire de la part de professeurs qui ne se coordonnent pas assez à mon sens, qui consiste à demander un maximum à des élèves dont ils considèrent par principe qu’ils en feront un minimum.

Par ce regard tristement pessimiste, on charge les mules de crainte qu’elle n’arrivent jamais à Damas… elles n’y arriveront donc jamais, ou pas toutes, et pas entières.

La question est ouverte, mais peut-être est-ce ce regard-là qu’il faut changer ; on sait bien qu’il est créateur, car nous finissons tous un jour par nous y conformer. À ce titre, l’exemple inverse constaté en Allemagne est criant.

Il est remarquable de constater l’économie des journées de leurs petits camarades allemands, assorties d’aucun temps de travail scolaire en dehors du temps d’école ; dans ce pays pourtant réputé méthodique et discipliné, où personne ne s’inquiète pour l’avenir des jeunes ni de leur nation. Interrogez vos élèves, et ils vous feront un petit rapport comparatif des «rythmes» et de la «densité» du travail qui est en vigueur Outre-Rhin, puisqu’il faut toujours prendre exemple sur l’Allemagne…

Il faut bien sûr se féliciter de la qualité de l’enseignement que vous prodiguez, et rendre hommage au sérieux voire l’abnégation avec lesquels les Professeurs s’acquittent de leur mission ; je le pense sincèrement. Nos petits français passent en Allemagne pour des extra-terrestres, à réciter dans le texte Heine ou Goethe à leurs cousins germaniques… qui ne connaissent pas ces poètes. 

Voilà un signe encourageant pour les nôtres, qui devrait permettre à leurs Professeurs de leur faire un peu plus confiance. S’il-vous-plaît.

Recevez, Chère Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs."

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