dimanche 29 septembre 2013

La Dette et Sur le chemin de l'école, vents contraires


Cette semaine deux documentaires sortent au cinéma, "La Dette" de Sophie Mitrani et Nicolas Ubelman et "Sur le chemin de l'école" de Pascal Plisson.


"La Dette" va faire un carton parmi les associations et autres réseaux comme Roosevelt, Utopia, et "Sur le chemin de l'école" de Pascal Plisson aura du succès parmi les pédago, instituteurs et professeurs de collèges en tête. L'un est bien distribué et soutenu par l'Unesco, et l'autre plus modestement par une coopérative et une poignée de donateurs anonymes.

Ces deux films nous placent face à deux messages totalement contraires : 
  • "l'effort individuel est récompensé" (Sur le Chemin de l'école) 
  • "nos efforts collectifs sont voués à l'échec" (La Dette)

"La Dette", fruit d'un labeur de trois ans de recherches et de nombreuses rencontres de personnalités, expose comment nos démocraties en sont arrivées à être court-circuitées par une économie fallacieuse qu'il convient d'appeler "économie de la dette", et quel est ce circuit qu'emprunte l'argent, circuit rarement dévoilé... Vous le savez assez,  il faudrait réduire les dépenses pour payer la dette. Les documentaristes s'attardent sur la logique de l'argument pour en vérifier la solidité ; et là, ça craque assez vite.

Le rare mérite de ce documentaire est d'être allé replacer les maux contemporains de nos équilibres budgétaires dans la perspective historique des rapports entre Banque et Etat, et de forcer le spectateur à réfléchir par lui-même en l'instruisant. Nombreux étaient ceux qui, parmi ceux de l'Espace St Michel qui ont assisté à la sortie du film en primo projection avec les réalisateurs, y avaient appris que l'argent d'un crédit prêté par votre banque vient d'être créé par son écriture-même !


 
Production d'une association (Régie Sud), La Dette est distribué par Direction Humaine des Ressources et projeté dans 7 salles en France
pour voir ou organiser la projection du documentaire, vous pouvez contacter le distributeur .


Au bout de tous ces chiffres, le mirage de l'argent-dette produit donc une absence de perspective, et se dresse devant nous autres, habitants des régions développées du monde où le chômage plane, où ses causes "structurelles" découragent le sens de l'effort des adultes comme des enfants, nous dressent les uns contre les autres dans une concurrence partout glorifiée, où même l'école est un marché à conquérir, s'il n'est déjà conquis. Les esprits des spectateurs, encore étourdis par la richesse des points de vue exposés dans La Dette et par la vision de son spectre quotidiennement brandi, se demande alors : comment sortir la tête de l'eau sous ce joug permanent ?

C'est à une refondation de notre pacte social et démocratique que les conclusions aboutissent, replaçant l'argent comme un bien commun capté et capturé. On note au passage les brillantes explications de l'économiste Benjamin Coriat, moins connu que Bernard Maris et des critiques portées au monde de la finance par un Pascal Canfin pas encore Ministre au moment du tournage, pas encore réduit au silence, en bon Vert de gouvernement qu'il est.

Dans nos pays sclérosés par leur dette publique, nos collectivités n'auront bientôt plus les moyens d'assurer une école au niveau où nos pays l'exigeraient... Ah, c'est déjà le cas ? On se le dit quand on voit la fuite de nombreux enfants vers les écoles privées. La marchandisation des savoirs et de la culture fera basculer la dette publique au service des dettes privées (qui sont en France, rappellons-le, 4 fois supérieures à la dette publique : sept mille milliards d'€).

Profusion de perspectives au contraire pour ces quatre enfants suivis par Pascal Plisson sur les chemins de leur école, tant en Argentine qu'au Maroc, au Kenya ou en Inde. Leurs obstacles à eux sont naturels, et se dressent devant tous, quand ici les montagnes s'aplanissent pour certains...

Ces enfants pleins d'énergie, revigorés par le chaotique et froid chemin des montagnes, par leur longue marche au grand air des pampas et de la savane (on pense alors aux pauvres poumons de nos petits parisiens qui partent le matin... toussez svp), pour qui l'école signifie bien une précieuse conquête, pour qui l'effort est encore récompensé, ont devant les yeux le rêve de leur vie.

Sur le chemin de l'école, de Pascal Plisson, 2013


Ce qu'on perçoit du film, c'est que par ce chemin, sur ce chemin, long, difficile, caillouteux, il y a la solidarité, l'école de la vie. Il est en soi une école, ce chemin. Il est frappant de voir le développement physique de nos bambins marcheurs, ou cavaliers, comme ce petit Carlos, Argentin de dix ans pour qui la sellerie de cheval n'a aucun secret et qui veut devenir ingénieur agronome ; cette jeune marocaine du même âge qui franchit les cols avec ses camarades, qui requièrent l'aide d'habitants pas toujours solidaires des écolières.

Cela tranche assez avec le cliché du d'jeun's décrit dans la célebre pub "animalière" pour La Poste ou encore le spectacle télévisuel du fils de bourge parvenu qui dit n'avoir rien appris à l'école (peut-être parce qu'il était inutile d'y apprendre quelque chose tant son insertion sociale ou ses moyens de subsistance étaient assurés d'emblée).

Là, on assiste au parcours de ces gosses, au sens physique et symbolique du terme, à la réussite de ces enfants-là et l'on se dit qu'après tant de peine endurée il n'y a pas d'échec possible. 
 
De prime abord, on aura de la compassion pour ces quatre enfants, car après tout, c'est bien le sens du film, il y a bien dans le monde 100 millions d'enfants de plus de 5 ans qui travaillent dans des mines de kaolin, dans des usines de bijoux, aux basses-fosses des méthaniers... Mais ensuite, on a de l'envie : eux quatre, pour qui le chemin agit comme une pédagogie au sens premier du terme, sont encore au contact de choses fondamentales, de la nature, du danger (n'y a-t-il pas plus initiatique que ça ?) Apprendre en faisant, en marchant, en découvrant, apprendre avec le corps, tout ce qu'on a oublié... En marchant, en allant là-bas s'instruire auprès d'un maître respecté et obéi, ils prennent leur destin en main ; ce sont quatre enfants qu'on peut finalement et malheureusement qualifier de privilégiés. Le film embue nos yeux lors de ces quatre insertions de paroles d'enfants, à la toute fin d'un film quasiment muet.

Je ne suis pas absolument pas accord avec la critique blasée par sa soirée de projo-presse de la journaliste Louise Tourret (Slate) qui aurait voulu voir un Envoyé Spécial et a vu un documentaire de cinéma. Car ce film pour une fois silencieux (!) minimaliste, sans didactisme aucun, donne à voir, et nous renvoie à nous-mêmes. En particulier aux problèmes endurés par tous les profs de nos terroirs... (toussez encore, svp)
 
Au sortir de la projection de ces deux films dans la même semaine on peut avoir un beau panorama de l'état du monde en 2013. Entre ceux qui pensent que nos lendemains refleuriront sur les ruines et ceux qui pensent que tout est encore à construire, ceux qui ont simplement espoir et ceux qui commencent à le perdre, ces deux films se parlent.

"Sur le chemin de l'école" est très consensuel. Il a d'ailleurs été présenté en grande pompe à l'institut du Monde Arabe devant un parterre de journalistes et de politiques. Il devrait avoir un beau succès d'ici quelques mois, quelques années dans toutes les écoles de France et même au-delà, vous pouvez en être sûrs (c'est le bon coup qu'a su flairer Disney France, son distributeur, sinon, un tel format de documentaire, sans commentaire, aurait plutôt trouvé son chemin dans les petites salles indépendantes dites d'art et d'essai).

"La Dette" est un documentaire clairement didactique et clivant. Il a la capacité de semer le trouble dans l'ordre public. Il entend remettre "le hold-up du siècle" au cœur du débat dont les citoyens de tous les pays du monde devraient se saisir. Il mérite d'être vu, diffusé, et mis en avant dans les medias. Mais je ne suis très pas optimiste quant au courage de ces mastondontes à affronter de plein-fouet leurs contradictions et la vacuité de leurs sempiternels arguments revolver.

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