(ph. Olivier Faugeras panoramio) |
Au retour d’Avignon en cette fraîche édition de 2011, je vous invite à vous pencher sur l’image et les signes que nous envoie le plus grand festival de théâtre du monde.
Pour qui n’y était pas venu depuis quinze ans, l’impression est forte. Le decorum n’a pas beaucoup changé, et le drôle de spectacle des gens de théâtre qui luttent pour s’afficher en meilleure place ne m’émeut toujours pas. À la promotion d’un spectacle, souvent débonnaire, on engage maintenant de toutes jeunes filles, préposées au tractage, qui vous avouent chacune être “comédienne à la base” mais qui sont, le temps de ce festival d’empoigne, les petites mains des productions privées qui pullulent désormais. Les tracts sont devenus des flyers et le geste plus racoleur. Ce folklore aurait du charme, si c’en était.
C’est à ces signes de nervosité qu’on sent la pression augmenter chaque année sur les artistes, si l’on en croit les chiffres qu’on récolte. 600 compagnies en 2005*, 1170 cette année, répertoriées dans un bottin impraticable pour le critique et pour l’acheteur. Lorsque j’y ai moi-même joué en 1994, où nous étions déjà 450 à présenter notre travail dans le OFF, et pensions naïvement qu’une baisse du nombre des compagnies présentes serait un mauvais indicateur de la santé des professions du spectacle… Je suis près de penser que cette inflation en est le pire signe et d’abord le signe d’une rivalité exacerbée.
Car si 1200 troupes rivalisaient de qualité autant que 400 sélectionnées, il faudrait alors s’y bousculer et les voir toutes. Mais la fréquentation du public est en baisse. Le spectateur sent bien que quelque chose ne va plus au royaume de Vilar. L’avignonnais lui, l’a compris depuis bien longtemps et déserte sa ville, et finance son départ estival par une sous-location aux artistes de quelque mille euros les trois semaines. Il y a donc moins de spectateurs pour plus de spectacles, au grand dam des commerçants qui ne verraient pas d’un mauvais œil un autre million de visiteurs en plus. Mais Kronos dévore d’abord ses enfants et le Festival occupe la totalité des discussions sur la culture au Conseil municipal d’Avignon.
Combien rapporte-t-il et combien coûte-t-il ?
Pour qui n’y était pas venu depuis quinze ans, l’impression est forte. Le decorum n’a pas beaucoup changé, et le drôle de spectacle des gens de théâtre qui luttent pour s’afficher en meilleure place ne m’émeut toujours pas. À la promotion d’un spectacle, souvent débonnaire, on engage maintenant de toutes jeunes filles, préposées au tractage, qui vous avouent chacune être “comédienne à la base” mais qui sont, le temps de ce festival d’empoigne, les petites mains des productions privées qui pullulent désormais. Les tracts sont devenus des flyers et le geste plus racoleur. Ce folklore aurait du charme, si c’en était.
C’est à ces signes de nervosité qu’on sent la pression augmenter chaque année sur les artistes, si l’on en croit les chiffres qu’on récolte. 600 compagnies en 2005*, 1170 cette année, répertoriées dans un bottin impraticable pour le critique et pour l’acheteur. Lorsque j’y ai moi-même joué en 1994, où nous étions déjà 450 à présenter notre travail dans le OFF, et pensions naïvement qu’une baisse du nombre des compagnies présentes serait un mauvais indicateur de la santé des professions du spectacle… Je suis près de penser que cette inflation en est le pire signe et d’abord le signe d’une rivalité exacerbée.
Car si 1200 troupes rivalisaient de qualité autant que 400 sélectionnées, il faudrait alors s’y bousculer et les voir toutes. Mais la fréquentation du public est en baisse. Le spectateur sent bien que quelque chose ne va plus au royaume de Vilar. L’avignonnais lui, l’a compris depuis bien longtemps et déserte sa ville, et finance son départ estival par une sous-location aux artistes de quelque mille euros les trois semaines. Il y a donc moins de spectateurs pour plus de spectacles, au grand dam des commerçants qui ne verraient pas d’un mauvais œil un autre million de visiteurs en plus. Mais Kronos dévore d’abord ses enfants et le Festival occupe la totalité des discussions sur la culture au Conseil municipal d’Avignon.
Combien rapporte-t-il et combien coûte-t-il ?
- 50% des Cies venues présenter leur travail dans le OFF ont un budget annuel inférieur à 50 000 €
- 20% ont un budget annuel supérieur à 250 000 €
- 60% louent leur salle à Avignon
- 10 % sont en co-production ou partenariat
Et seuls 20‰ rentrent dans leurs frais (spectacles d’humour exclusivement)
Une salle coûte entre 2500 et 12 000 € les 3 semaines selon son emplacement, son infrastructure, son matériel...
Une salle coûte entre 2500 et 12 000 € les 3 semaines selon son emplacement, son infrastructure, son matériel...
L’opération, il va sans dire, est déficitaire mais là n’est pas le sujet. Les artistes dépensent sans compter, c’est vrai, et ils s’endettent. Ils paient tout, et leur logement et le droit de se montrer, au détriment de leur salaire et même de leur santé ; et au profit d’un habile propriétaire de salle dont le seul talent est d’avoir acheté un hangar il y a vingt ans. Ce sont ceux-là les extorqueurs de la culture, à juste titre les exploitants. Un garage ou une salle rapportent entre 10 000 € et 80 000 € à leur gérant.
Ils dépensent donc sans compter les kilomètres parcourus pour afficher, tracter, ni les dizaines de milliers d'euros dépensés pour se loger, manger, payer la salle, et pour la comm’, budget marginal autrefois, essentiel aujourd’hui. À la sortie, 50% des compagnies ne peuvent revenir à deux éditions consécutives pour des questions... financières. Comme toujours, ce sont les plus petites structures qui sont les plus immergées dans la concurrence la plus forte, et sans les moyens d’y faire face. Y être, ou n’y pas être, pour certains c’est bien la question.
Le théâtre, et tous ses corps de métier, requiert des équipes au travail. Et à concurrence rude, ficelle gagnante. C’est ainsi que l’on voit des armées de producteurs privés battre le pavé qui investissent sur de jeunes humoristes, de petites formes courtes, stand-up sans décor, dont la qualité relative n’a évidemment rien à voir avec l’art dramatique de Vilar ou Vitez ; ni sur la forme, ni surtout dans l’esprit. L’humour est le divertissement, la diversion de l’existence selon Th. Bernhardt, censé rendre supportable cette même société hyper-concurrentielle, cette Dissociété dit J. Généreux, où chacun le dispute à tous. L’on voit maintenant des écuries de Conseils régionaux labéliser un lieu et présenter leurs poulains. Des pragmatiques qui ne souhaitent pas laisser les compagnies dont ils suivent le travail se jeter dans la fosse aux 1200 lions anonymes.
Hélas, cette situation pléthorique est un vieux masque d’Arlequin, plus très brillant, arboré par cette majorité qui sous lui s’épuise et sue, étique. Les acteurs sont en miettes, comme dit Mélenchon. Oui. Ils le sont avant, pendant et après ce qui porte encore le nom de Festival. Certains s’en satisfont, et s’en font même une mystique. Pas moi. L’art n’est ni éthéré ni déconnecté du réel. Et je suis heureux de voir que le Programme Partagé du Front de Gauche se saisit concrètement des questions de l’emploi bien sûr mais aussi des droits d’auteur, des statuts, des rémunérations, d’une politique du livre, des écoles d’Art et leurs débouchés, articule liberté et démocratie de l’information, articule encore la critique du financiarisme à sa mainmise sur la culture.
Mélenchon adosse cette possible Révolution Citoyenne à une politique de dé-financiarisation générale des acteurs économiques. Il ne s’agit pas d’une cosmétique de plus ! Car il est beau d’avoir des ambitions politiques romantiques, des idéaux, si techniquement on ne s’accorde pas des leviers institutionnels. Dire, comme Mme Martine Aubry en plein Avignon, qu’on va doubler le budget de la Culture sur un claquement de doigts, sans révolutionner les institutions, voire sans désobéir, alors même que le budget de l’Etat passe dorénavant sous les fourches caudines de Bruxelles avant son examen à l’Assemblée Nationale, relève au mieux du romantisme, au pire du foutage de gueule.
Combien croient encore, à la va-comme-j’te-pousse ou par vocation, aux vertus de cette foire commerciale dans la pratique de leur vrai métier, le théâtre ; alors qu’ils se disent conscients de gagner là “l’unique occasion de se faire entendre" dans un festival qui permet soi-disant de montrer son travail. Or, faire Avignon est peut-être la pire façon de montrer son travail. Conditions techniques limites, normes de sécurité bafouées, droit du travail… en parle-ton ?
On se prend donc à penser que, si au moins dans leur régions respectives les pouvoirs publics et leurs agents manifestaient un peu plus d’intérêt lorsque ces Cies les sollicitent... s’ils allaient au moins voir leur travail de façon plus systématique et coordonnée dans des lieux adaptés et si une meilleure péréquation de l’offre culturelle régnait sur notre territoire jusqu’en outre-mer, peut-être certains d’entre eux n’en seraient-ils pas à venir s’abîmer contre le mur du Palais des Papes…
Car enfin, montrer son travail devrait être la chose la plus naturelle du monde, et devrait être gratuit. Pourquoi faudrait-il que dans la culture nous trouvions normal de payer pour pouvoir travailler ?
C’est bien avec ce souci de préserver les capacités créatives sur le long terme, et non à la petite semaine, d’encourager les capacités de rêve et d’indignation qui font la culture d’une nation instruite et développée qu’il faudrait peut-être dans l’intérêt de tous, créateurs, spectateurs, institutions, qu’un numerus clausus soit instauré dans cette foire commerciale si peu lisible, qui transfigurerait le cercle du OFF. Que le OFF ainsi devienne IN, et même le précède sur le calendrier. On peut le faire.
Faudrait-il plus longtemps supporter cette infamante exclusion de l’un vis-à-vis de l’autre ? Pas d’angélisme : les différentiels budgétaires sont abyssaux. C’est le spectacle d'une fracture sociale qui s’offre au public du Festival d’Avignon. L’aristocratie du métier et la bourgeoisie du public d’un côté ; les gagne-petit et le tout-venant populo de l’autre. La bonne conscience de l’un sur la débrouille de l’autre.
La difficulté d’arrêter des critères est certes bien réelle, mais au nom de quelle entrave à la liberté ne saurions-nous pas faire ce que l’on fait à Edimbourg ?
Ces critères pourraient prendre en compte plusieurs points et notamment le budget d’une Cie (exit les Cies les plus dotées, qui auront tout loisir de présenter leur travail soit dans la programmation d'un Festival soit, ce qu’elle font déjà, dans leur réseau public institutionnalisé, les CDN etc...).
- Ils pourraient favoriser les compagnies qui font un travail de maillage culturel en zone d’éducation prioritaire.
- Ces critères pourraient exiger la participation du lieu d’accueil à la production par exemple.
- Ces nouveaux critères pourraient prendre en compte l’implantation géographique des compagnies, à qui on doit garantir une place convenable d’exposition de leur travail, prendre en compte leur éloignement des grands bassins d’emploi, leur implantation courageuse dans une petite ville de moins de 20 000 habitants, par exemple.
- Les compagnies les plus isolées, qui labourent les diagonales du vide qui émaillent notre territoire auront une voix, à un chapitre ordinairement réservé aux structures les mieux dotées ;
Et nous verrions Patrice Chéreau monter un spectacle à Doullens...
Le Festival d’Avignon deviendrait aussitôt un instrument d’égalité, de redistribution de l’offre culturelle, et aurait, pour le coup, vraiment retrouvé l’esprit de ses fondateurs.
*sources vivantmag.fr, AFC
** mise-à-jour : la fréquentation serait en hausse 48 000 carte du OFF vendues cette édition 2011
*sources vivantmag.fr, AFC
** mise-à-jour : la fréquentation serait en hausse 48 000 carte du OFF vendues cette édition 2011